Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/359

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Il y avait dans le voisinage un derviche très fameux qui passait pour le meilleur philosophe de la Turquie ; ils allèrent le consulter ; Pangloss porta la parole, et lui dit : Maître, nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi étrange animal que l’homme a été formé.

De quoi te mêles-tu ? lui dit le derviche ; est-ce là ton affaire ? Mais, mon révérend père, dit Candide, il y a horriblement de mal sur la terre. Qu’importe, dit le derviche, qu’il y ait du mal ou du bien ? quand sa hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s’embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou non ? Que faut-il donc faire ? dit Pangloss. Te taire, dit le derviche. Je me flattais, dit Pangloss, de raisonner un peu avec vous des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de l’origine du mal, de la nature de l’âme, et de l’harmonie préétablie. Le derviche, à ces mots, leur ferma la porte au nez.

Pendant cette conversation, la nouvelle s’était répandue qu’on venait d’étrangler à Constantinople deux vizirs du banc et le muphti, et qu’on avait empalé plusieurs de leurs amis. Cette catastrophe faisait partout un grand bruit pendant quelques heures. Pangloss, Candide, et Martin, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d’orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu’on venait d’étrangler. Je n’en sais rien, répondit le bon-homme, et je n’ai jamais su