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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

Quant aux valets et autres personnes qui ne peuvent entrer dans le salon, ils se tiennent aux grilles du jardin ; il y fait quelque tour pour eux. On se le montre, et l’on dit : Le voilà ! le voilà ! C’est très-plaisant.

Ferney, 4 octobre 1777. — J’ai dîné aujourd’hui chez M. de Voltaire en très-grande compagnie. L’automne le dérange, et il redoute les approches de l’hiver : il se plaint de sa strangurie ; il est cassé et a la voix éteinte : mais son esprit n’a que quarante ans ; il rabâche moins encore dans sa conversation que dans ses écrits. Il est précis et court dans ses histoires. Comme nous avions la jolie Mme de Blot, il a voulu être galant, et il était plus coquet qu’elle des mines et de la langue. Pour vous donner une idée de la vigueur et de la gentillesse de son esprit, je ne vous en citerai que deux traits, ils suffiront : la comtesse est tombée sur le roi de Prusse et a loué son administration éclairée et incorruptible : Par où diable, madame, s’est-il écrié, pourrait-on prendre ce prince ? il n’a ni conseil, ni chapelle, ni maîtresse. On n’a pas manqué de parler de M. Necker, et j’étais curieux de sa façon de penser sur son compte. Il a apostrophé un Genevois qui était à table avec nous : Votre république, monsieur, doit être bien glorieuse, lui a-t-il dit ; elle fournit à la fois à la France un philosophe (M. Rousseau) pour l’éclairer, un médecin (M. Tronchin) pour la guérir, et un ministre (M. Necker) pour remettre ses finances ; et ce n’est pas l’opération la moins difficile. Il faudrait, a-t-il ajouté, lorsque l’archevêque de Paris mourra, donner ce siége à votre fameux ministre Vernet, pour y rétablir la religion. Ce dernier persiflage, sans autre réflexion ultérieure, m’a décelé son jugement sur notre directeur général. Je l’avais pressenti par une citation écrite de sa main au bas du portrait de M. Turgot : Ostendent terris hunc tantum fata… Le marquis de Villette était des nôtres et paraît goûté du patron, qui lui a dit des douceurs ; je crois qu’elles sont intéressées, et qu’il s’agit de l’amadouer pour un mariage. Ce qui indispose encore plus le philosophe contre M. Necker, c’est la faveur qu’il accorde à la loterie royale de France, qui s’est étendue dans ces cantons. On vient d’établir à Ferney un bureau de cette loterie ; il redoute avec raison que les habitants de la colonie ne donnent dans ce piége.



LXV.


DU MARQUIS DE VILLETTE[1]

À D’ALEMBERT.
Ferney (5 ou 6 octobre 1777).

Vos nouvelles ont beaucoup diverti M. de Voltaire. Puisque vous voulez savoir jusqu’aux minuties de sa vie domestique, je vous en raconterai quelques traits. Un grand nom ennoblit les plus petits détails.

  1. Charles-Michel, marquis de Villette (1730-1793). Après avoir quitté l’armée,