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DE VOLTAIRE.


X.


DÉCLARATION.


15 juin 1778.


Aujourd’hui sont comparus par-devant les conseillers du roi notaires au Châtelet de Paris soussignés, et en l’étude de Noël-Jean-Baptiste-François Dutertre, avocat en parlement, et l’un d’eux :

Messire Alexandre-Jean Mignot, conseiller du roi en son grand conseil, abbé commendataire de l’abbaye de Scellières, diocèse de Troyes, demeurant à Paris, rue des Blancs-Manteaux, paroisse Saint-Jean en Grève ;

Dame Marie-Louise Mignot, veuve de messire Charles-Nicolas Denis, capitaine au régiment de Champagne, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, commissaire ordonnateur des guerres, et depuis conseiller correcteur en la Chambre des comptes de Paris, logée actuellement chez M. de La Valette, rue Saint-Honoré, paroisse Saint-Roch ;

Et messire Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre, chevalier, seigneur d’Hornoy et autres lieux, conseiller au parlement de Paris, demeurant susdite rue Saint-Honoré, paroisse Saint-Roch ;

Ledit sieur abbé Mignot et madite dame Denis, frère et sœur, neveu et nièce de défunt messire François-Marie Arouet de Voltaire, chevalier, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, historiographe de France, l’un des quarante de l’Académie française, et ledit sieur d’Hornoy, petit-neveu du dit sieur de Voltaire.

Lesquels, pour l’intérêt de l’ordre public et de la vérité, nous ont requis de recevoir leur déclaration sur les faits ci-après mentionnés, laquelle ils ont faite conjointement et unanimement de la manière et ainsi qu’il suit :

Au moment de la mort de monsieur de Voltaire, tandis que monsieur l’abbé Mignot et monsieur d’Hornoy étaient absents, occupés du soin de préparer ses obsèques, monsieur le marquis de Villette, chez lequel leur oncle logeait et était décédé, pressa madame Denis de consentir que le cœur de monsieur de Voltaire fût distrait de son corps pour être transporté dans la chapelle de Villette.

Madame Denis, tout entière à sa juste douleur, ne réfléchit pas alors qu’une pareille distraction ne pouvait être faite que par la volonté expresse de monsieur de Voltaire, qui aurait été manifestée dans son testament, ou au moins par un consentement unanime de tous ses héritiers, constaté dans un acte revêtu des formes religieuses et légales ; elle répondit verbalement à monsieur de Villette qu’il pouvait faire ce qu’il voudrait à cet égard. En conséquence monsieur de Villette, animé du désir de posséder le cœur de monsieur de Voltaire, qui avait vécu et qui était encore dans sa maison, procéda et fit procéder de fait à cette distraction sans remplir aucune des formes préalables, ni pour obtenir le consentement de la famille, ni pour constater que ce qu’il faisait ôter du corps au moment de son ouverture était véritablement le cœur du défunt. Il fit faire une opération purement chirurgicale, connue, il paraît, par son aveu seulement, car le procès-verbal d’embaumement, pièce privée et non juridique signée d’un seul chirurgien, n’énonce rien au sujet du cœur, qui par conséquent, dans l’ordre strict et légal, ne peut être réputé comme distrait du corps ni remis séparément à qui que ce soit et en particulier à monsieur de Villette.