Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/293

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Sont de ses traits les objets différents.
Quiconque en France avec éclat attire
L’œil du public, est sûr de la satire ;
Un bon couplet, chez ce peuple falot,
De tout mérite est l’infaillible lot.
La jeune Églé, de pompons couronnée,
Devant un prêtre à minuit amenée,
Va dire un oui, d’un air tout ingénu,
À son mari, qu’elle n’a jamais vu.
Le lendemain, en triomphe on la mène
Au cours, au bal, chez Bourbon, chez la reine ;
Le lendemain, sans trop savoir comment,
Dans tout Paris on lui donne un amant ;
Roy[1] la chansonne, et son nom par la ville
Court ajusté sur l’air d’un vaudeville.
Églé s’en meurt : ses cris sont superflus.
Consolez-vous, Églé, d’un tel outrage :
Vous pleurerez, hélas ! bien davantage.
Lorsque de vous on ne parlera plus.
Et nommez-moi la beauté, je vous prie,
De qui l’honneur fut toujours à couvert ?
Lisez-moi Bayle, à l’article Schomberg,
Vous y verrez que la Vierge Marie[2]
Des chansonniers, comme une autre, a souffert[3].
Jérusalem a connu la satire.
Persans, Chinois, baptisés, circoncis,

  1. Poëte connu en son temps par quelques opéras, et par quelques petites satires nommées calottes, qui sont tombées dans un profond oubli. (Note de Voltaire, 1756.) — Dans une édition de 1736, la note ne contenait que ces deux mots : « Mauvais poëte. » Roy n’est mort qu’en 1764. (B.)
  2. Cette calomnie, citée dans Bayle et dans l’abbé Houteville, est tirée d’un ancien livre hébreu, intitulé Toldos Jescut, dans lequel on donne pour époux à cette personne sacrée Jonathan ; et celui que Jonathan soupçonne s’appelle Joseph Panther. (Note de Voltaire, 1748.) Ce livre, cité par les premiers pères, est incontestablement du premier siècle. (Id., 1752.)
  3. Variante :
    Des chansonniers comme une autre a souffert.
    Certain lampon courut longtemps sur elle.
    Dans un refrain cette mère pucelle
    Se vit nichée, et le Juif infidèle
    Vous parle encore, avec un rire amer,
    D’un rendez-vous avec monsieur Panther.
    C’est de tout temps ainsi que la satire
    A de son souffle infecté les esprits ;
    La terre entière est, dit-on, son empire ;
    Mais, croyez-moi, etc.