Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/373

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Ce qui souvent manque à mes vers,
Le mérite de l’art soumis à la nature,
Empire de Pomone et de Flore sa sœur,
Recevez votre possesseur !
Qu’il soit, ainsi que vous, solitaire et tranquille !
Je ne me vante point d’avoir en cet asile
Rencontré le parfait bonheur :
Il n’est point retiré dans le fond d’un bocage ;
Il est encor moins chez les rois ;
Il n’est pas même chez le sage :
De cette courte vie il n’est point le partage.
Il y faut renoncer ; mais on peut quelquefois
Embrasser au moins son image.

Que tout plaît en ces lieux à mes sens étonnés !
D’un tranquille océan[1] l’eau pure et transparente
Baigne les bords fleuris de ces champs fortunés ;
D’innombrables coteaux ces champs sont couronnés.
Racchus les embellit ; leur insensible pente
Vous conduit par degrés à ces monts sourcilleux[2]
Qui pressent les enfers et qui fendent les cieux.
Le voilà ce théâtre et de neige et de gloire,
Éternel boulevard qui n’a point garanti
Des Lombards le beau territoire.
Voilà ces monts affreux célébrés dans l’histoire,
Ces monts qu’ont traversés, par un vol si hardi,
Les Charles, les Othon, Catinat, et Conti[3],
Sur les ailes de la Victoire.
Au bord de cette mer où s’égarent mes yeux,
Ripaille[4], je te vois. Ô bizarre Amédée[5],

  1. Le lac de Genève. (Note de Voltaire, 1750.)
  2. Les Alpes. (Id. 1756.)
  3. Voyez, sur la campagne de Conti en Italie, le chapitre xiii du Précis du Siècle de Louis XV.
  4. Ripaille était un couvent d’augustins sur la rive gauche du lac de Genève. Le duc de Savoie, après avoir abdiqué, y vécut voluptueusement, et quelques personnes pensaient que c’était ce qui avait donné lieu au proverbe faire ripaille. Mais La Mésangère, dans son Dictionnaire des Proverbes, pense que Ripaille vient de Ripuaille, dérivé de repue, bonne chère. (B.)

    — C’est de Prangins, où Voltaire habita un moment, et non des Délices, qu’on voit le couvent de Ripaille. (G. A.)

  5. Le premier duc de Savoie, Amédée, pape ou antipape, sous le nom de Félix. (Note de Voltaire, 1750.)