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DE LA CHINE.

boussole, ainsi que la poudre à tirer, était pour eux une simple curiosité, et ils n’en étaient pas plus à plaindre.

On est étonné que ce peuple inventeur n’ait jamais percé dans la géométrie au delà des éléments. Il est certain que les Chinois connaissaient ces éléments plusieurs siècles avant qu’Euclide les eût rédigés chez les Grecs d’Alexandrie. L’empereur Kang-hi assura de nos jours au P. Parennin, l’un des plus savants et des plus sages missionnaires qui aient approché de ce prince, que l’empereur Yu s’était servi des propriétés du triangle rectangle pour lever un plan géographique d’une province, il y a plus de trois mille neuf cent soixante années ; et le P. Parennin lui-même cite un livre, écrit onze cents ans avant notre ère, dans lequel il est dit que la fameuse démonstration attribuée en Occident à Pythagore était depuis longtemps au rang des théorèmes les plus connus.

On demande pourquoi les Chinois, ayant été si loin dans des temps si reculés, sont toujours restés à ce terme ; pourquoi l’astronomie est chez eux si ancienne et si bornée ; pourquoi dans la musique ils ignorent encore les demi-tons. Il semble que la nature ait donné à cette espèce d’hommes, si différente de la nôtre, des organes faits pour trouver tout d’un coup tout ce qui leur était nécessaire, et incapables d’aller au-delà. Nous, au contraire, nous avons eu des connaissances très-tard, et nous avons tout perfectionné rapidement. Ce qui est moins étonnant, c’est la crédulité avec laquelle ces peuples ont toujours joint leurs erreurs de l’astrologie judiciaire aux vraies connaissances célestes. Cette superstition a été celle de tous les hommes ; et il n’y a pas longtemps que nous en sommes guéris : tant l’erreur semble faite pour le genre humain.

Si on cherche pourquoi tant d’arts et de sciences, cultivés sans interruption depuis si longtemps à la Chine, ont cependant fait si peu de progrès, il y en a peut-être deux raisons : l’une est le respect prodigieux que ces peuples ont pour ce qui leur a été transmis par leurs pères, et qui rend parfait à leurs yeux tout ce qui est ancien ; l’autre est la nature de leur langue, le premier principe de toutes les connaissances.

L’art de faire connaître ses idées par l’écriture, qui devait n’être qu’une méthode très-simple, est chez eux ce qu’ils ont de plus difficile. Chaque mot a des caractères différents : un savant, à la Chine, est celui qui connaît le plus de ces caractères ; quelques-uns sont arrivés à la vieillesse avant que de savoir bien écrire.