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CHAPITRE III.

servons, et que les Arabes ont apportés en Europe vers le temps de Charlemagne, nous viennent de l’Inde. Les anciennes médailles, dont les curieux chinois font tant de cas, sont une preuve que plusieurs arts furent cultivés aux Indes avant d’être connus des Chinois.

On y a, de temps immémorial, divisé la route annuelle du soleil en douze parties, et, dans des temps vraisemblablement encore plus reculés, la route de la lune en vingt-huit parties. L’année des brachmanes et des plus anciens gymnosophistes commença toujours quand le soleil entrait dans la constellation qu’ils nomment Moscham, et qui est pour nous le Bélier. Leurs semaines furent toujours de sept jours, divisions que les Grecs ne connurent jamais. Leurs jours portent les noms des sept planètes. Le jour du soleil est appelé chez eux Mithradinan : reste à savoir si ce mot mithra, qui, chez les Perses, signifie aussi le soleil, est originairement un terme de la langue des mages, ou de celle des sages de l’Inde.

Il est bien difficile de dire laquelle des deux nations enseigna l’autre ; mais s’il s’agissait de décider entre les Indes et l’Égypte, je croirais toujours les sciences bien plus anciennes dans les Indes, comme nous l’avons déjà remarqué[1]. Le terrain des Indes est bien plus aisément habitable que le terrain voisin du Nil, dont les débordements durent longtemps rebuter les premiers colons, avant qu’ils eussent dompté ce fleuve en creusant des canaux. Le sol des Indes est d’ailleurs d’une fertilité bien plus variée, et qui a dû exciter davantage la curiosité et l’industrie humaine.

Quelques-uns ont cru la race des hommes originaire de l’Indoustan, alléguant que l’animal le plus faible devait naître dans le climat le plus doux, et sur une terre qui produit sans culture les fruits les plus nourrissants, les plus salutaires, comme les dattes et les cocos. Ceux-ci surtout donnent aisément à l’homme de quoi le nourrir, le vêtir, et le loger. Et de quoi d’ailleurs a besoin un habitant de cette presqu’île ? tout ouvrier y travaille presque nu ; deux aunes d’étoffe, tout au plus, servent à couvrir une femme qui n’a point de luxe. Les enfants restent entièrement nus, du moment où ils sont nés jusqu’à la puberté. Ces matelas, ces amas de plumes, ces rideaux à double contour, qui chez nous exigent tant de frais et de soins, seraient une incommodité intolérable pour ces peuples, qui ne peuvent dormir qu’au frais sur

  1. Introduction, paragraphe xix.