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CHAPITRE III.

dans les temps reculés à la terre ferme. On s’en aperçoit encore par la mer même qui les sépare : son peu de profondeur, les arbres qui croissent sur son fond, semblables à ceux des îles ; les nouveaux terrains qu’elle laisse souvent à découvert ; tout fait voir que ce continent a été inondé, et il a dû l’être insensiblement, quand l’Océan, qui gagne toujours d’un côté ce qu’il perd de l’autre, s’est retiré de nos terres occidentales.

L’Inde, dans tous les temps connus commerçante et industrieuse, avait nécessairement une grande police ; et ce peuple, chez qui Pythagore avait voyagé pour s’instruire, devait avoir de bonnes lois, sans lesquelles les arts ne sont jamais cultivés ; mais les hommes, avec des lois sages, ont toujours eu des coutumes insensées. Celle qui fait aux femmes un point d’honneur et de religion de se brûler sur le corps de leurs maris subsistait dans l’Inde de temps immémorial. Les philosophes indiens se jetaient eux-mêmes dans un bûcher, par un excès de fanatisme et de vaine gloire. Calan, ou Calanus, qui se brûla devant Alexandre, n’avait pas le premier donné cet exemple ; et cette abominable dévotion n’est pas détruite encore. La veuve du roi de Tanjaor se brûla, en 1735, sur le bûcher de son époux. M. Dumas, M. Dupleix, gouverneurs de Pondichéry, l’épouse de l’amiral Russel, ont été témoins de pareils sacrifices : c’est le dernier effort des erreurs qui pervertissent le genre humain. Le plus austère des derviches n’est qu’un lâche en comparaison d’une femme de Malabar. Il semblerait qu’une nation, chez qui les philosophes et même les femmes se dévouaient ainsi à la mort, dût être une nation guerrière et invincible ; cependant, depuis l’ancien Sésac, quiconque a attaqué l’Inde l’a aisément vaincue.

Il serait encore difficile de concilier les idées sublimes que les bramins conservent de l’Être suprême avec leurs superstitions et leur mythologie fabuleuse, si l’histoire ne nous montrait pas de pareilles contradictions chez les Grecs et chez les Romains.

Il y avait des chrétiens sur les côtes de Malabar, depuis douze cents ans, au milieu de ces nations idolâtres. Un marchand de Syrie, nommé Mar-Thomas, s’étant établi sur les côtes de Malabar avec sa famille et ses facteurs, au vie siècle, y laissa sa religion, qui était le nestorianisme ; ces sectaires orientaux, s’étant multipliés, se nommèrent les chrétiens de saint Thomas : ils vécurent paisiblement parmi les idolâtres. Qui ne veut point remuer est rarement persécuté. Ces chrétiens n’avaient aucune connaissance de l’Église latine.