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DE L’ARABIE, ET DE MAHOMET.

resta un grand nombre de familles guèbres ou ignicoles à Ispahan, jusqu’au temps de Sha-Abbas qui les bannit, comme Isabelle chassa les Juifs d’Espagne. Ils ne furent tolérés dans les faubourgs de cette ville que sous ses successeurs. Les ignicoles maudissent depuis longtemps dans leurs prières Alexandre et Mahomet ; il est à croire qu’ils y ont joint Sha-Abbas.

Tandis qu’un lieutenant d’Omar subjugue la Perse, un autre enlève l’Égypte entière aux Romains, et une grande partie de la Libye. C’est dans cette conquête que fut brûlée la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, monument des connaissances et des erreurs des hommes, commencé par Ptolémée Philadelphe, et augmenté par tant de rois. Alors les Sarrasins ne voulaient de science que l’Alcoran, mais ils faisaient déjà voir que leur génie pouvait s’étendre à tout. L’entreprise de renouveler en Égypte l’ancien canal creusé par les rois, et rétabli ensuite par Trajan, et de rejoindre ainsi le Nil à la mer Rouge, est digne des siècles les plus éclairés. Un gouverneur d’Égypte entreprend ce grand travail sous le califat d’Omar, et en vient à bout. Quelle différence entre le génie des Arabes et celui des Turcs ! Ceux-ci ont laissé périr un ouvrage dont la conservation valait mieux que la conquête d’une grande province.

Les amateurs de l’antiquité, ceux qui se plaisent à comparer les génies des nations, verront avec plaisir combien les mœurs, les usages du temps de Mahomet, d’Abubéker, d’Omar, ressemblaient aux mœurs antiques dont Homère a été le peintre fidèle. On voit les chefs défier à un combat singulier les chefs ennemis ; on les voit s’avancer hors des rangs et combattre aux yeux des deux armées, spectatrices immobiles. Ils s’interrogent l’un l’autre, ils se parlent, ils se bravent, ils invoquent Dieu avant d’en venir aux mains. On livra plusieurs combats singuliers dans ce genre au siège de Damas.

Il est évident que les combats des Amazones, dont parlent Homère et Hérodote, ne sont point fondés sur des fables. Les femmes de la tribu d’Imiar, de l’Arabie Heureuse, étaient guerrières, et combattaient dans les armées d’Abubéker et d’Omar. On ne doit pas croire qu’il y ait jamais eu un royaume des Amazones, où les femmes vécussent sans hommes ; mais dans les temps et dans les pays où l’on menait une vie agreste et pastorale, il n’est pas surprenant que des femmes, aussi durement élevées que les hommes, aient quelquefois combattu comme eux. On voit surtout au siège de Damas une de ces femmes, de la tribu d’Imiar, venger la mort de son mari tué à ses côtés, et percer d’un coup de flèche