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L’ITALIE ET L’ÉGLISE AVANT CHARLEMAGNE

Eusèbe. Ils content que Simon Barjone, et un autre Simon, qu’ils appellent le magicien, disputèrent sous Néron à qui ressusciterait un mort, et à qui s’élèverait le plus haut dans l’air ; que Simon Barjone fit tomber l’autre Simon, favori de Néron, et que cet empereur irrité fit crucifier Barjone, lequel, par humilité, voulut être crucifié la tête en bas. Ces inepties sont aujourd’hui méprisées de tous les chrétiens instruits ; mais depuis Constantin, elles furent autorisées jusqu’à la renaissance des lettres et du bon sens.

Pour prouver que Pierre ne mourut point à Rome, il n’y a qu’à observer que la première basilique bâtie par les chrétiens dans cette capitale est celle de Saint-Jean de Latran : c’est la première église latine ; l’aurait-on dédiée à Jean si Pierre avait été pape ?

La liste frauduleuse des prétendus premiers papes est tirée d’un livre apocryphe, intitulé le Pontifical de Damase, qui dit en parlant de Lin, prétendu successeur de Pierre, que Lin fut pape jusqu’à la treizième année de l’empereur Néron. Or c’est précisément cette année 13 qu’on fait crucifier Pierre : il y aurait donc eu deux papes à la fois.

Enfin ce qui doit trancher toute difficulté aux yeux de tous les chrétiens, c’est que ni dans les Actes des Apôtres, ni dans les Épîtres de Paul, il n’est pas dit un seul mot d’un voyage de Simon Barjone à Rome. Le terme de siège, de pontificat, de papauté, attribué à Pierre, est d’un ridicule sensible. Quel siège qu’une assemblée inconnue de quelques pauvres de la populace juive !

C’est cependant sur cette fable que la puissance papale est fondée, et se soutient encore aujourd’hui après toutes ses pertes. Qu’on juge après cela comment l’opinion gouverne le monde, comment le mensonge subjugue l’ignorance, et combien ce mensonge a été utile pour asservir les peuples, les enchaîner, et les dépouiller.

C’est ainsi qu’autrefois les annalistes barbares de l’Europe comptaient parmi les rois de France un Pharamond, et son père Marcomir, et des rois d’Espagne, de Suède, d’Écosse, depuis le déluge. Il faut avouer que l’histoire, ainsi que la physique, n’a commencé à se débrouiller que sur la fin du xvie siècle. La raison ne fait que de naître.

Ce qui est encore certain, c’est que le génie du sénat ne fut jamais de persécuter personne pour sa croyance ; que jamais aucun empereur ne voulut forcer les Juifs à changer de religion, ni après la révolte sous Vespasien, ni après celle qui éclata sous Adrien. On insulta toujours à leur culte ; on s’en moqua ; on éri-