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DE LA RELIGION, DU TEMPS DE CHARLEMAGNE.

que le monde allait finir ; on se fondait sur un passage de saint Luc, qui met ces paroles dans la bouche de Jésus-Christ : « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune, et dans les étoiles ; les nations seront consternées ; la mer et les fleuves feront un grand bruit ; les hommes sécheront de frayeur dans l’attente de la révolution de l’univers ; les puissances des cieux seront ébranlées, et alors ils verront le Fils de l’homme venant dans une nuée avec une grande puissance et une grande majesté. Lorsque vous verrez arriver ces choses, sachez que le royaume de Dieu est proche. Je vous dis en vérité, en vérité, que cette génération ne finira point sans que ces choses soient accomplies. »

Plusieurs personnages pieux, ayant toujours pris à la lettre cette prédiction non accomplie, en attendaient l’accomplissement : ils pensaient que l’univers allait être détruit, et voyaient clairement le jugement dernier, où Jésus-Christ devait venir dans les nuées. On se fondait aussi sur l’épître de saint Paul à ceux de Thessalonique, qui dit : « Nous qui sommes vivants, nous serons emportés dans l’air au-devant de Jésus. » De là toutes ces suppositions de tant de prodiges aperçus dans les airs. Chaque génération croyait être celle qui devait voir la fin du monde, et cette opinion se fortifiant dans les siècles suivants, on donnait ses terres aux moines comme si elles eussent dû être préservées dans la conflagration générale. Beaucoup de chartes de donation commencent par ces mots : Adventante mundi vespero.

Des abbés bénédictins, longtemps avant Charlemagne, étaient assez puissants pour se révolter. Un abbé de Fontenelle avait osé se mettre à la tête d’un parti contre Charles Martel, et assembler des troupes. Le héros fit trancher la tête au religieux : exécution qui ne contribua pas peu à toutes ces révélations que tant de moines eurent depuis de la damnation de Charles Martel.

Avant ce temps on voit un abbé de Saint-Remi de Reims, et l’évêque de cette ville, susciter une guerre civile contre Childebert, au vie siècle : crime qui n’appartient qu’aux hommes puissants.

Les évêques et les abbés avaient beaucoup d’esclaves. On reproche à l’abbé Alcuin d’en avoir eu jusqu’à vingt mille. Ce nombre n’est pas incroyable ; Alcuin possédait plusieurs abbayes, dont les terres pouvaient être habitées par vingt mille hommes. Ces esclaves, connus sous le nom de serfs, ne pouvaient se marier ni changer de demeure sans la permission de l’abbé. Ils étaient obligés de marcher cinquante lieues avec leurs charrettes quand il l’ordonnait ; ils travaillaient pour lui trois jours de la semaine, et il partageait tous les fruits de la terre.