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ÉTAT DE L’EUROPE APRÈS LA MORT DE LOUIS.

conjonctures pareilles, déposer Charles le Chauve, roi de France. Cet attentat fut commis pour plaire à Louis de Bavière. Ces monarques, aussi méchants rois que frères dénaturés, ne pouvant se faire périr l’un l’autre, se faisaient anathématiser tour à tour. Mais ce qui surprend, c’est l’aveu que fait Charles le Chauve, dans un écrit qu’il daigna publier contre l’archevêque de Sens : « Au moins, cet archevêque ne devait pas me déposer avant que j’eusse comparu devant les évêques qui m’avaient sacré roi ; il fallait qu’auparavant j’eusse subi leur jugement, ayant toujours été prêt à me soumettre à leurs corrections paternelles et à leur châtiment. » La race de Charlemagne, réduite à parler ainsi, marchait visiblement à sa ruine.

Je reviens à Lothaire, qui avait toujours un grand parti en Germanie, et qui était maître paisible en Italie. Il passe les Alpes, fait couronner son fils Louis, qui vient juger dans Rome le pape Sergius II. Le pontife comparaît, répond juridiquement aux accusations d’un évêque de Metz, se justifie, et prête ensuite serment de fidélité à ce même Lothaire, déposé par ses évêques. Lothaire même fit cette célèbre et inutile ordonnance, que, « pour éviter les séditions trop fréquentes, le pape ne sera plus élu par le peuple, et que l’on avertira l’empereur de la vacance du saint- siége ».

On s’étonne de voir l’empereur tantôt si humble, et tantôt si fier ; mais il avait une armée auprès de Rome quand le pape lui jura obéissance, et n’en avait point à Aix-la-Chapelle quand les évêques le détrônèrent.

Leur sentence ne fut qu’un scandale de plus ajouté aux désolations de l’Europe. Les provinces depuis les Alpes au Rhin ne savaient plus à qui elles devaient obéir. Les villes changeaient chaque jour de tyrans, les campagnes étaient ravagées tour à tour par différents partis. On n’entendait parler que de combats ; et dans ces combats il y avait toujours des moines, des abbés, des évêques, qui périssaient les armes à la main. Hugues, un des fils de Charlemagne, forcé jadis à être moine, devenu depuis abbé de Saint-Quentin, fut tué devant Toulouse, avec l’abbé de Ferrière : deux évêques y furent faits prisonniers.

Cet incendie s’arrêta un moment pour recommencer avec plus de fureur. Les trois frères, Lothaire, Charles, et Louis, firent de nouveaux partages, qui ne furent que de nouveaux sujets de divisions et de guerre.

(855) L’empereur Lothaire, après avoir bouleversé l’Europe sans succès et sans gloire, se sentant affaibli, vint se faire moine