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CHAPITRE XXV.

l’ordre de la succession était compté pour rien, puisque Arnould, bâtard de Carloman, fils de Louis le Bègue, fut déclaré empereur, et qu’Eudes ou Odon, comte de Paris, fut roi de France. Il n’y avait alors ni droit de naissance, ni droit d’élection reconnu. L’Europe était un chaos dans lequel le plus fort s’élevait sur les ruines du plus faible, pour être ensuite précipité par d’autres. Toute cette histoire n’est que celle de quelques capitaines barbares qui disputaient avec des évêques la domination sur des serfs imbéciles. Il manquait aux hommes doux choses nécessaires pour se soustraire à tant d’horreurs : la raison et le courage.

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CHAPITRE XXV.


Des Normands vers le ixe siècle.


Tout étant divisé, tout était malheureux et faible. Cette confusion ouvrit un passage aux peuples de la Scandinavie et aux habitants des bords de la mer Baltique. Ces sauvages trop nombreux, n’ayant à cultiver que des terres ingrates, manquant de manufactures, et privés des arts, ne cherchaient qu’à se répandre loin de leur patrie. Le brigandage et la piraterie leur étaient nécessaires, comme le carnage aux bêtes féroces. En Allemagne on les appelait Normands, hommes du Nord, sans distinction, comme nous disons encore en général les corsaires de Barbarie. Dès le ive siècle ils se mêlèrent aux flots des autres barbares, qui portèrent la désolation jusqu’à Rome et en Afrique. On a vu que, resserrés sous Charlemagne, ils craignirent l’esclavage. Dès le temps de Louis le Débonnaire, ils commencèrent leurs courses. Les forêts dont ces pays étaient hérissés, leur fournissaient assez de bois pour construire leurs barques à deux voiles et à rames. Environ cent hommes tenaient dans ces bâtiments, avec leurs provisions de bière, de biscuit de mer, de fromage, et de viande fumée. Ils côtoyaient les terres, descendaient où ils ne trouvaient point de résistance, et retournaient chez eux avec leur butin, qu’ils partageaient ensuite selon les lois du brigandage, ainsi qu’il se pratique en Barbarie. Dès l’an 843 ils entrèrent en France par l’embouchure de la rivière de Seine, et mirent la ville de Rouen au