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CHAPITRE XXX.

relles de religion, et comme chacun d’eux établit sourdement les fondements de la grandeur pontificale.

Leur pouvoir était déjà très-grand, puisque Grégoire IV rebâtit le port d’Ostie, et que Léon IV fortifia Rome à ses dépens ; mais tous les papes ne pouvaient être de grands hommes, et toutes les conjonctures ne pouvaient leur être favorables. Chaque vacance de siège causait les mêmes troubles que l’élection d’un roi en produit en Pologne. Le pape élu avait à ménager à la fois le sénat romain, le peuple, et l’empereur. La noblesse romaine avait grande part au gouvernement : elle élisait alors deux consuls tous les ans. Elle créait un préfet, qui était une espèce de tribun du peuple. Il y avait un tribunal de douze sénateurs ; et c’étaient ces sénateurs qui nommaient les principaux officiers du duché de Rome. Ce gouvernement municipal avait tantôt plus, tantôt moins d’autorité. Les papes avaient à Rome plutôt un grand crédit qu’une puissance législative.

S’ils n’étaient pas souverains de Rome, ils ne perdaient aucune occasion d’agir en souverains de l’Église d’Occident. Les évêques se constituaient juges des rois ; et les papes, juges des évêques. Tant de conflits d’autorité, ce mélange de religion, de superstition, de faiblesse, de méchanceté dans toutes les cours, l’insuffisance des lois, tout cela ne peut être mieux connu que par l’aventure du mariage et du divorce de Lothaire, roi de Lorraine, neveu de Charles le Chauve.

Charlemagne avait répudié une de ses femmes, et en avait épousé une autre, non-seulement avec l’approbation du pape Étienne, mais sur ses pressantes sollicitations. Les rois francs, Gontran, Caribert, Sigebert, Chilpéric, Dagobert, avaient eu plusieurs femmes à la fois, sans qu’on eût murmuré ; et si c’était un scandale, il était sans trouble. Le temps change tout. Lothaire, marié avec Teutberge, fille d’un duc de la Bourgogne Transjurane, prétend la répudier pour un inceste avec son frère, dont elle est accusée, et épouser sa maîtresse Valrade. Toute la suite de cette aventure est d’une singularité nouvelle. D’abord la reine Teutberge se justifie par l’épreuve de l’eau bouillante. Son avocat plonge la main dans un vase, au fond duquel il ramasse impunément un anneau bénit. Le roi se plaint qu’on a employé la fourberie dans cette épreuve. Il est bien sûr que si elle fut faite, l’avocat de la reine était instruit d’un secret de préparer la peau à soutenir l’action de l’eau bouillante. Aucune académie des sciences n’a, de nos jours, tenté de connaître sur ces épreuves ce que savaient alors les charlatans.