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CHAPITRE XXXIX.

(999) De tous les événements de ce temps, le plus digne de l’attention d’un citoyen est l’excommunication du roi Robert. Il avait épousé Berthe, sa commère et sa cousine au quatrième degré ; mariage en soi légitime, et, de plus, nécessaire au bien de l’État, et que les évêques avaient approuvé dans un concile national. Nous avons vu, de nos jours, des particuliers épouser leurs nièces, et acheter au prix ordinaire les dispenses à Rome, comme si Rome avait des droits sur des mariages qui se font à Paris. Le roi de France n’éprouva pas autant d’indulgence. L’Église romaine, dans l’avilissement et les scandales où elle était plongée, osa imposer au roi une pénitence de sept ans, lui ordonna de quitter sa femme, l’excommunia en cas de refus. Le pape interdit tous les évêques qui avaient assisté à ce mariage, et leur ordonna de venir à Rome lui demander pardon. Tant d’insolence paraît incroyable ; mais l’ignorante superstition de ces temps peut l’avoir soufferte, et la politique peut l’avoir causée. Grégoire V, qui fulmina cette excommunication, était Allemand, et gouverné par Gerbert, ci-devant archevêque de Reims, devenu ennemi de la maison de France. L’empereur Othon III, peu ami de Robert, assista lui-même au concile où l’excommunication fut prononcée. Tout cela fait croire que la raison d’État eut autant de part à cet attentat que le fanatisme.

Les historiens disent que cette excommunication fit en France tant d’effet que tous les courtisans du roi et ses propres domestiques l’abandonnèrent, et qu’il ne lui resta que deux serviteurs, qui jetaient au feu le reste de ses repas, ayant horreur de ce qu’avait touché un excommunié. Quelque dégradée que fût alors la raison humaine, il n’y a pas d’apparence que l’absurdité pût aller si loin. Le premier auteur qui rapporte cet excès de l’abrutissement de la cour de France est le cardinal Pierre Damien, qui n’écrivit que soixante-cinq ans après. Il rapporte qu’en punition de cet inceste prétendu, la reine accoucha d’un monstre ; mais il n’y eut rien de monstrueux dans toute cette affaire que l’audace du pape, et la faiblesse du roi, qui se sépara de sa femme.

Les excommunications, les interdits, sont des foudres qui n’embrasent un État que quand ils trouvent des matières combustibles. Il n’y en avait point alors ; mais peut-être Robert craignait-il qu’il ne s’en formât.

La condescendance du roi Robert enhardit tellement les papes, que son petit-fils, Philippe Ier, fut excommunié comme lui. (1075) D’abord le fameux Grégoire VII le menaça de le déposer, s’il ne se justifiait de l’accusation de simonie devant ses nonces.