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DE LA RELIGION ET DE LA SUPERSTITION.

CHAPITRE XLV.


De la religion et de la superstition aux xe et xie siècles.


Les hérésies semblent être le fruit d’un peu de science et de loisir. On a vu que l’état où était l’Église au xe siècle ne permettait guère le loisir ni l’étude. Tout le monde était armé, et on ne disputait que des richesses. Cependant en France, du temps du roi Robert, il y eut quelques prêtres, et entre autres un nommé Étienne, confesseur de la reine Constance, accusés d’hérésie. On ne les appela manichéens que pour leur donner un nom plus odieux ; car ni eux ni leurs juges ne pouvaient guère connaître la philosophie du Persan Manès. C’étaient probablement des enthousiastes qui tendaient à une perfection outrée pour dominer sur les esprits : c’est le caractère de tous les chefs de sectes. On leur imputa des crimes horribles, et des sentiments dénaturés, dont on charge toujours ceux dont on ne connaît pas les dogmes. (1028) Ils furent juridiquement accusés de réciter les litanies à l’honneur des diables, d’éteindre ensuite les lumières, de se mêler indifféremment, et de brûler le premier des enfants qui naissaient de ces incestes, pour en avaler les cendres. Ce sont à peu près les reproches qu’on faisait aux premiers chrétiens. Les hérétiques dont je parle étaient surtout accusés d’enseigner que Dieu n’est point venu sur la terre, qu’il n’a pu naître d’une vierge, qu’il n’est ni mort ni ressuscité. En ce cas ils n’étaient pas chrétiens. Je vois que les accusations de cette espèce se contredisent toujours.

Ceux qu’on appelait manichéens, ceux qu’on nomma depuis Albigeois, Vaudois, Lollars, et qui reparurent si souvent sous tant d’autres noms, étaient des restes des premiers chrétiens des Gaules, attachés à plusieurs anciens usages que la cour romaine changea depuis, et à des opinions vagues que le temps dissipe. Par exemple, ces premiers chrétiens n’avaient point connu les images ; la confession auriculaire ne leur avait pas d’abord été commandée. Il ne faut pas croire que du temps de Clovis, et avant lui, on fût parfaitement instruit dans les Alpes du dogme de la transsubstantiation et de plusieurs autres. On vit, au viiie siècle, Claude, archevêque de Turin, adopter la plupart des sentiments qui font aujourd’hui le fondement de la religion protestante, et prétendre