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DE FRÉDÉRIC BARBEROUSSE.

l’honneur du pape, des cardinaux, et des magistrats ; le pape, de son côté, faisait le même serment à l’empereur et à ses officiers. Telle était alors la confuse anarchie de l’Occident chrétien que les deux premiers personnages de cette petite partie du monde, l’un se vantant d’être le successeur des Césars, l’autre le successeur de Jésus-Christ, et l’un devant donner l’onction sacrée à l’autre, tous deux étaient obligés de jurer qu’ils ne seraient point assassins pour le temps de la cérémonie. Un chevalier armé de toutes pièces fit ce serment au pontife Adrien IV, au nom de l’empereur, et le pape fit son serment devant le chevalier.

Le couronnement, ou exaltation des papes, était accompagné alors de cérémonies aussi extraordinaires, et qui tenaient de la simplicité plus encore que de la barbarie. On posait d’abord le pape élu sur une chaise percée, appelée stercorarium ; ensuite sur un siége de porphyre, sur lequel on lui donnait deux clefs, de là sur un troisième siége, où il recevait douze pièces de couleur. Toutes ces coutumes, que le temps avait introduites, ont été abolies par le temps. Quand l’empereur Frédéric eut fait son serment, le pape Adrien IV vint le trouver à quelques milles de Rome.

Il était établi par le cérémonial romain que l’empereur devait se prosterner devant le pape, lui baiser les pieds, lui tenir l’étrier, et conduire la haquenée blanche du saint-père par la bride l’espace de neuf pas romains. Ce n’était pas ainsi que les papes avaient reçu Charlemagne. L’empereur Frédéric trouva le cérémonial outrageant, et refusa de s’y soumettre. Alors tous les cardinaux s’enfuirent, comme si le prince, par un sacrilège, avait donné le signal d’une guerre civile. Mais la chancellerie romaine, qui tenait registre de tout, lui fit voir que ses prédécesseurs avaient rendu ces devoirs. Je ne sais si aucun autre empereur que Lothaire II, successeur de Henri V, avait mené le cheval du pape par la bride. La cérémonie de baiser les pieds, qui était d’usage, ne révoltait point la fierté de Frédéric ; et celle de la bride et de l’étrier l’indignait, parce qu’elle parut nouvelle. Son orgueil accepta enfin ces deux prétendus affronts, qu’il n’envisagea que comme de vaines marques d’humilité chrétienne, et que la cour de Rome regardait comme des preuves de sujétion. Celui qui se disait le maître du monde, caput orbis, se fit palefrenier d’un gueux qui avait vécu d’aumônes.

Les députés du peuple romain, devenus aussi plus hardis depuis que presque toutes les villes de l’Italie avaient sonné le tocsin de la liberté, voulurent traiter de leur côté avec l’empereur ; mais ayant commencé leur harangue en disant : « Grand