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CHAPITRE L.

d’Auxerre pour n’avoir pas rempli cet abus, devenu un devoir. Ces évêques condamnés commencèrent par mettre le royaume en interdit, et finirent par demander pardon.

(1199) Jean sans Terre, qui succéda à Richard, devait être un très-grand terrien ; car à ses grands domaines il joignit la Bretagne, qu’il usurpa sur le prince Artus, son neveu, à qui cette province était échue par sa mère. Mais pour avoir voulu ravir ce qui ne lui appartenait pas, il perdit tout ce qu’il avait, et devint enfin un grand exemple qui doit intimider les mauvais rois. Il commença par s’emparer de la Bretagne, qui appartenait à son neveu Artus ; il le prit dans un combat, il le fit enfermer dans la tour de Rouen, sans qu’on ait jamais pu savoir ce que devint ce jeune prince. L’Europe accusa avec raison le roi Jean de la mort de son neveu.

Heureusement pour l’instruction de tous les rois, on peut dire que ce premier crime fut la cause de tous ses malheurs. Les lois féodales, qui d’ailleurs faisaient naître tant de désordres, furent signalées ici par un exemple mémorable de justice. La comtesse de Bretagne, mère d’Artus, fit présenter à la cour des pairs de France une requête signée des barons de Bretagne. Le roi d’Angleterre fut sommé par les pairs de comparaître. La citation lui fut signifiée à Londres par des sergents d’armes. Le roi accusé envoya un évêque demander à Philippe-Auguste un sauf-conduit. « Qu’il vienne, dit le roi, il le peut. — Y aura-t-il sûreté pour le retour ? demanda l’évêque, — Oui, si le jugement des pairs le permet, » répondit le roi. (1203) L’accusé n’ayant point comparu, les pairs de France le condamnèrent à mort, déclarèrent toutes ses terres situées en France acquises et confisquées au roi. Mais qui étaient ces pairs qui condamnèrent un roi d’Angleterre à mort ? ce n’étaient point les ecclésiastiques, lesquels ne peuvent assister à un jugement criminel. On ne dit point qu’il y eût alors à Paris un comte de Toulouse, et jamais on ne vit aucun acte de pairs signé par ces comtes. Baudouin IX, comte de Flandre, était alors à Constantinople, où il briguait les débris de l’empire d’Orient. Le comte de Champagne était mort, et la succession était disputée. C’était l’accusé lui-même qui était duc de Guienne et de Normandie. L’assemblée des pairs fut composée des hauts barons relevant immédiatement de la couronne. C’est un point très-important que nos historiens auraient dû examiner, au lieu de ranger à leur gré des armées en bataille, et de s’appesantir sur les siéges de quelques châteaux qui n’existent plus.

On ne peut douter que l’assemblée des pairs barons français