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DE L’AMÉRIQUE.

Les Hébreux n’exprimaient que le présent et le futur. La langue franque, si commune dans les échelles du Levant, est réduite encore à cette indigence. Et enfin, malgré tous les efforts des hommes, il n’est aucun langage qui approche de la perfection.

viii. — De l’amérique.

Se peut-il qu’on demande encore d’où sont venus les hommes qui ont peuplé l’Amérique ? On doit assurément faire la même question sur les nations des terres australes. Elles sont beaucoup plus éloignées du port dont partit Christophe Colomb que ne le sont les îles Antilles. On a trouvé des hommes et des animaux partout où la terre est habitable : Qui les y a mis ? On l'a déjà dit[1], c’est celui qui fait croître l’herbe des champs : et on ne devait pas être plus surpris de trouver en Amérique des hommes que des mouches.

Il est assez plaisant que le jésuite Lafitau[2] prétende, dans sa préface de l’Histoire des Sauvages américains, qu’il n’y a que des athées qui puissent dire que Dieu a créé les Américains.

On grave encore aujourd’hui des cartes de l’ancien monde où l’Amérique paraît sous le nom d’île Atlantique. Les îles du Cap-Vert y sont sous le nom de Gorgades ; les Caraïbes sous celui d’îles Hespérides. Tout cela n’est pourtant fondé que sur l’ancienne découverte des îles Canaries, et probablement de celle de Madère, où les Phéniciens et les Carthaginois voyagèrent ; elles touchent presque à l’Afrique, et peut-être en étaient-elles moins éloignées dans les anciens temps qu’aujourd’hui.

Laissons le père Lafitau faire venir les Caraïbes des peuples de Carie, à cause de la conformité du nom, et surtout parce que les femmes caraïbes faisaient la cuisine de leurs maris ainsi que les femmes cariennes ; laissons-le supposer que les Caraïbes ne naissent rouges, et les Négresses noires, qu’à cause de l’habitude de leurs premiers pères de se peindre en noir ou en rouge.

Il arriva, dit-il, que les Négresses, voyant leurs maris teints en noir, en eurent l’imagination si frappée que leur race s’en ressentit pour jamais. La même chose arriva aux femmes caraïbes.

  1. Essai sur les Mœurs, chapitres XLV et XLVI.
  2. Lafitau, jésuite missionnaire, était allé au Canada. Il publia, en 1723, Mœurs des Sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps, 2 vol. ; puis, en 1733, Histoire des découvertes et des conquêtes des Portugais dans le nouveau monde, 2 vol.