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CHAPITRE LV.

contre les autres aussi souvent que contre les musulmans. Bientôt après un nouvel ordre s’établit encore en faveur des pauvres Allemands abandonnés dans la Palestine, et ce fut l’ordre des moines teutoniques, qui devint après, en Europe, une milice de conquérants.

Enfin la situation des chrétiens était si peu affermie que Baudouin, premier roi de Jérusalem, qui régna après la mort de Godefroi, son frère, fut pris presque aux portes de la ville par un prince turc.

Les conquêtes des chrétiens s’affaiblissaient tous les jours. Les premiers conquérants n’étaient plus ; leurs successeurs étaient amollis. Déjà l’État d’Édesse était repris par les Turcs en 1140, et Jérusalem menacée. Les empereurs grecs ne voyant dans les princes d’Antioche, leurs voisins, que de nouveaux usurpateurs, leur faisaient la guerre, non sans justice. Les chrétiens d’Asie, près d’être accablés de tous côtés, sollicitèrent en Europe une nouvelle croisade générale.

La France avait commencé la première inondation ; ce fut à elle qu’on s’adressa pour la seconde. Le pape Eugène III, naguère disciple de saint Bernard, fondateur de Clervaux, choisit avec raison son premier maître pour être l’organe d’un nouveau dépeuplement. Jamais religieux n’avait mieux concilié le tumulte des affaires avec l’austérité de son état ; aucun n’était arrivé comme lui à cette considération purement personnelle qui est au-dessus de l’autorité même. Son contemporain, l’abbé Suger, était premier ministre de France ; son disciple était pape ; mais Bernard, simple abbé de Clervaux, était l’oracle de la France et de l’Europe.

A Vézelai-en-Bourgogne fut dressé un échafaud dans la place publique, où Bernard parut à côté de Louis le Jeune, roi de France. Il parla d’abord, et le roi parla ensuite. Tout ce qui était présent prit la croix. Louis la prit le premier des mains de saint Bernard. Le ministre Suger ne fut point d’avis que le roi abandonnât le bien certain qu’il pouvait faire à ses États pour tenter en Syrie des conquêtes incertaines ; mais l’éloquence de Bernard, et l’esprit du temps, sans lequel cette éloquence n’était rien, l’emportèrent sur les conseils du ministre.

On nous peint Louis le Jeune comme un prince plus rempli de scrupules que de vertus. Dans une de ces petites guerres civiles que le gouvernement féodal rendait inévitables en France, les troupes du roi avaient brûlé l’église de Vitry, et une partie du peuple, réfugiée dans cette église, avait péri au milieu des