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DE SALADIN.

ne souffrit pas que Renaud de Châtillon bût après le roi. Ce capitaine avait violé plusieurs fois sa promesse : le vainqueur avait juré de le punir, et, montrant qu’il savait se venger comme pardonner, il abattit d’un coup de sabre la tête de ce perfide. (1187) Arrivé aux portes de Jérusalem, qui ne pouvait plus se défendre, il accorda à la reine, femme de Lusignan, une capitulation qu’elle n’espérait pas ; il lui permit de se retirer où elle voudrait. Il n’exigea aucune rançon des Grecs qui demeuraient dans la ville. Lorsqu’il fit son entrée dans Jérusalem, plusieurs femmes vinrent se jeter à ses pieds en lui redemandant, les unes leurs maris, les autres leurs enfants ou leurs pères qui étaient dans les fers ; il les leur rendit avec une générosité qui n’avait pas encore eu d’exemple dans cette partie du monde. Saladin fit laver avec de l’eau-rose, par les mains même des chrétiens, la mosquée qui avait été changée en église ; il y plaça une chaire magnifique, à laquelle Noradin, soudan d’Alep, avait travaillé lui-même, et fit graver sur la porte ces paroles : « Le roi Saladin, serviteur de Dieu, mit cette inscription après que Dieu eut pris Jérusalem par ses mains. »

Il établit des écoles musulmanes ; mais, malgré son attachement à sa religion, il rendit aux chrétiens orientaux l’église qu’on appelle du Saint-Sépulcre, quoiqu’il ne soit point du tout vraisemblable que Jésus ait été enterré en cet endroit. Il faut ajouter que Saladin, au bout d’un an, rendit la liberté à Gui de Lusignan, en lui faisant jurer qu’il ne porterait jamais les armes contre son libérateur. Lusignan ne tint pas sa parole.

Pendant que l’Asie Mineure avait été le théâtre du zèle, de la gloire, des crimes et des malheurs de tant de milliers de croisés, la fureur d’annoncer la religion les armes à la main s’était répandue dans le fond du Nord.

Nous avons vu[1] il n’y a qu’un moment, Charlemagne convertir l’Allemagne septentrionale avec le fer et le feu ; nous avons vu ensuite[2] les Danois idolâtres faire trembler l’Europe, conquérir la Normandie, sans tenter jamais de faire recevoir l’idolâtrie chez les vaincus. A peine le christianisme fut affermi dans le Danemark, dans la Saxe, et dans la Scandinavie, qu’on y prêcha une croisade contre les païens du Nord qu’on appelait Sclaves ou Slaves, et qui ont donné le nom à ce pays qui touche à la Hongrie, et qu’on appelle Sclavonie. Les chrétiens s’armèrent contre eux depuis Brème jusqu’au fond de la Scandinavie. Plus de cent

  1. Chapitre xv.
  2. Chapitre xxv.