Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
460
CHAPITRE LVII.

ses évêques sur ces paroles : Mon père est plus grand que moi[1], pendant qu’il avait à craindre les croisés et les Turcs, il y avait un catéchisme grec, dans lequel on anathématisait avec exécration ce verset si connu de l’Alcoran, où il est dit que Dieu est un être infini, qui n’a point été engendré, et qui n’a engendré personne. Manuel voulut qu’on ôtât du catéchisme cet anathème. Ces disputes signalèrent son règne, et l’affaiblirent. Mais remarquez que dans cette dispute Manuel ménageait les musulmans. Il ne voulait pas que dans le catéchisme grec on insultât un peuple victorieux, qui n’admettait qu’un Dieu incommunicable, et que notre Trinité révoltait.

(1185) Alexis Manuel, son fils, qui épousa une fille du roi de France Louis le Jeune, fut détrôné par Andronic, un de ses parents. Cet Andronic le fut à son tour par un officier du palais, nommé Isaac l’Ange. On traîna l’empereur Andronic dans les rues, on lui coupa une main, on lui creva les yeux, on lui versa de l’eau bouillante sur le corps, et il expira dans les plus cruels supplices.

Isaac l’Ange, qui avait puni un usurpateur avec tant d’atrocité, fut lui-même dépouillé par son propre frère Alexis l’Ange, qui lui fit crever les yeux (1195). Cet Alexis l’Ange prit le nom de Comnène, quoiqu’il ne fût pas de la famille impériale des Comnène ; et ce fut lui qui fut la cause de la prise de Constantinople par les croisés.

Le fils d’Isaac l’Ange alla implorer le secours du pape, et surtout des Vénitiens, contre la barbarie de son oncle. Pour s’assurer de leur secours il renonça à l’Église grecque, et embrassa le culte de l’Église latine. Les Vénitiens et quelques princes croisés, comme Baudouin, comte de Flandre, Boniface, marquis de Montferrat, lui donnèrent leur dangereux secours. De tels auxiliaires furent également odieux à tous les partis. Ils campaient hors de la ville, toujours pleine de tumulte. Le jeune Alexis, détesté des Grecs pour avoir introduit les Latins, fut immolé bientôt à une nouvelle faction. Un de ses parents, surnommé Mirziflos, l’étrangla de ses mains, et prit les brodequins rouges, qui étaient la marque de l’empire.

(1204). Les croisés, qui avaient alors le prétexte de venger leurs créatures, profitèrent des séditions qui désolaient la ville pour la ravager. Ils y entrèrent presque sans résistance ; et, ayant tué tout ce qui se présenta, ils s’abandonnèrent à tous les excès

  1. Saint Jean, xiv, 28.