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CHAPITRE LX.

juif. Cependant le Prêtre-Jean tartare succomba dans une grande bataille sous les armes de Gengis. Le vainqueur s’empara de ses États et se fit élire souverain de tous les kans tartares, sous le nom de Gengis-kan, qui signifie roi des rois, ou grand kan. Il portait auparavant le nom de Témugin. Il paraît que les kans tartares étaient en usage d’assembler des diètes vers le printemps : ces diètes s’appelaient Cour-ilté. Eh ! qui sait si ces assemblées et nos cours plénières, aux mois de mars et de mai, n’ont pas une origine commune ?

Gengis publia dans cette assemblée qu’il fallait ne croire qu’un Dieu, et ne persécuter personne pour sa religion : preuve certaine que ses vassaux n’avaient pas tous la même créance. La discipline militaire fut rigoureusement établie : des dizeniers, des centeniers, des capitaines de mille hommes, des chefs de dix mille sous des généraux, furent tous astreints à des devoirs journaliers ; et tous ceux qui n’allaient point à la guerre furent obligés de travailler un jour de la semaine pour le service du grand kan. L’adultère fut défendu d’autant plus sévèrement que la polygamie était permise. Il n’y eut qu’un canton tartare dans lequel il fut permis aux habitants de demeurer dans l’usage de prostituer les femmes à leurs hôtes. Le sortilège fut expressément défendu sous peine de mort. On a vu[1] que Charlemagne ne le punit que par des amendes. Mais il en résulte que les Germains, les Francs et les Tartares, croyaient également au pouvoir des magiciens. Gengis fit jouer, dans cette grande assemblée de princes barbares, un ressort qu’on voit souvent employé dans l’histoire du monde. Un prophète prédit à Gengis-kan qu’il serait le maître de l’univers : les vassaux du grand kan s’encouragèrent à remplir la prédiction.

L’auteur chinois qui a écrit les conquêtes de Gengis, et que le P. Gaubil a traduit[2], assure que ces Tartares n’avaient aucune connaissance de l’art d’écrire. Cet art avait toujours été ignoré des provinces d’Archangel jusqu’au delà de la grande muraille, ainsi qu’il le fut des Celtes, des Bretons, des Germains, des Scandinaviens ; et de tous les peuples de l’Afrique au delà du mont Atlas. L’usage de transmettre à la postérité toutes les articulations de la langue et toutes les idées de l’esprit, est un des grands

  1. Chapitre xvii.
  2. Histoire de Djenguyz-Khan et de toute la dynastie des Mongoux. Paris, 1739, in-4o. L’auteur, Antoine Gaubil, de la compagnie de Jésus, était interprète de la cour chinoise, et mourut à Pékin en 1759. (E. B.)