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DE L’ORIENT, ET DE GENGIS-KAN.

Gengis et ses fils, allant de conquête en conquête, crurent qu’ils subjugueraient toute la terre habitable ; c’est dans ce dessein que d’un côté Koublaï, maître de la Chine, envoya une armée de cent mille hommes sur mille bateaux, appelés jonques, pour conquérir le Japon, et que Batou-kan pénétra aux frontières de l’Italie. Le pape Célestin IV lui envoya quatre religieux, seuls ambassadeurs qui pussent accepter une telle commission. Frère Asselin rapporte qu’il ne put parler qu’à un des capitaines tartares, qui lui donna cette lettre pour le pape.

« Si tu veux demeurer sur terre, viens nous rendre hommage. Si tu n’obéis pas, nous savons ce qui en arrivera. Envoie-nous de nouveaux députés pour nous dire si tu veux être notre vassal ou notre ennemi[1]. »

On a blâmé Charlemagne d’avoir divisé ses États ; on doit en louer Gengis. Les États de Charlemagne se touchaient, avaient à peu près les mêmes lois, étaient sous la même religion, et pouvaient se gouverner par un seul homme ; ceux de Gengis, beaucoup plus vastes, entrecoupés de déserts, partagés en religions différentes, ne pouvaient obéir longtemps au même sceptre.

Cependant cette vaste puissance des Tartares-Mogols, fondée vers l’an 1220, s’affaiblit de tous côtés ; jusqu’à ce que Tamerlan, plus d’un siècle après, établit une monarchie universelle dans l’Asie, monarchie qui se partagea encore.

La dynastie de Gengis régna longtemps à la Chine, sous le nom d’Iven. Il est à croire que la science de l’astronomie, qui avait rendu les Chinois si célèbres, déchut beaucoup dans cette révolution : car on ne voit, en ce temps-là, que des mahométans astronomes à la Chine ; et ils ont presque toujours été en possession de régler le calendrier jusqu’à l’arrivée des jésuites. C’est peut-être la raison de la médiocrité où sont restés les Chinois[2].

Voilà tout ce qu’il vous convient de savoir des Tartares dans ces temps reculés. Il n’y a là ni droit civil, ni droit canon, ni

  1. Les récits des voyageurs cités par Voltaire ont été traduits et publiés sous ce titre : Relation des voyages en Tartarie de fr. Guillaume de Rubruquis, fr. Jean du Plan Carpin, fr. Ascelin. et autres religieux de S. François et de S. Dominique, envoyés par Innocent IV et le roi S. Louis, avec un traité des Tartares, de leur origine, et un abrégé de l’Histoire des Sarrasins et mahométans, par Pierre Bergeron, Parisien. Paris, 1634, in-8o. (E. B.)
  2. Ceux qui ont prétendu que les grands monuments de tous les arts, dans la Chine, sont de l’invention des Tartares, se sont étrangement trompés : comment ont-ils pu supposer que des barbares toujours errants, dont le chef, Gengis, ne savait ni lire ni écrire, fussent plus instruits que la nation la plus policée et la plus ancienne de la terre ? (Note de Voltaire.)