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CHAPITRE LXI.

le royaume, excepté la ville de Naples, qui reconnut le pape Innocent pour son unique maître. Ce pape prétendait que les Deux-Siciles lui étaient dévolues, et lui appartenaient de droit, en vertu des paroles qu’il avait prononcées en déposant Frédéric II et sa race, au concile de Lyon. L’empereur Conrad IV arrive alors pour défendre son héritage ; il prend d’assaut sa ville de Naples : le pape s’enfuit à Gênes, sa patrie, et là il ne prend d’autre parti que d’offrir le royaume au prince Richard, frère du roi d’Angleterre Henri III, prince qui n’était pas en état d’armer deux vaisseaux, et qui remercia le saint-père de son dangereux présent.

(1254) Les dissensions inévitables entre Conrad, roi allemand, et Manfredi, italien, servirent mieux la cour romaine que ne firent la politique et les malédictions du pape. Conrad mourut, et on prétend, comme je vous l’ai dit[1], qu’il mourut empoisonné. La cour papale accrédita ce soupçon. Conrad laissait sa couronne de Naples à un enfant de dix ans ; c’est cet infortuné Conradin que nous verrons périr d’une fin si tragique, Conradin était en Allemagne : Manfredi était ambitieux ; il fit courir le bruit que Conradin était mort, et se fit prêter serment, comme à un régent si Conradin était en vie, et comme à un roi si ce fils de l’empereur n’était plus. Innocent avait toujours pour lui dans le royaume la faction des Guelfes, ce parti ennemi de la maison impériale, et il avait encore pour lui ses excommunications : il se déclara lui-même roi des Deux-Siciles, et donna des investitures. Voilà donc enfin les papes rois de ce pays conquis par des gentilshommes de Normandie. (1253 et 1254) Mais cette royauté ne fut que passagère : le pape eut une armée, mais il ne savait pas la commander ; il mit un légat à la tête : Manfredi, avec ses mahométans et quelques barons peu scrupuleux, défit entièrement le légat et l’armée pontificale.

Ce fut dans ces circonstances que le pape Innocent, ne pouvant prendre pour lui le royaume de Naples, se tourna enfin vers le comte d’Anjou, frère de saint Louis, (1254) et lui offrit une couronne dont il n’avait nul droit de disposer, et à laquelle le comte d’Anjou n’avait nul droit de prétendre. Mais le pape mourut dès le commencement de cette négociation : c’est à quoi aboutissent tous les projets de l’ambition qui tourmentent si horriblement la vie.

Rinaldo de Signi, Alexandre IV, succéda à la place d’Innocent IV et à tous ses desseins. Il ne put réussir avec le frère

  1. Chapitre xlix.