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CHAPITRE LXV.

nécessaire de guerres civiles que le respect de la religion ne put jamais tarir, et que les hauteurs de Boniface VIII ne firent qu’accroître.

Ces violences n’ont pu finir que par les violences encore plus grandes d’Alexandre VI, environ deux siècles après. Le pontificat, du temps de Boniface VIII, n’était plus maître de tout le pays qu’avait possédé Innocent III, de la mer Adriatique au ports d’Ostie : il en prétendait le domaine suprême ; il possédait quelques villes en propre ; c’était une puissance des plus médiocres. Le grand revenu des papes consistait dans ce que l’Église universelle leur fournissait, dans les décimes qu’ils recueillaient souvent du clergé, dans les dispenses, dans les taxes.

Une telle situation devait porter Boniface à ménager une puissance qui pouvait le priver d’une partie de ces revenus, et fortifier contre lui les gibelins. Aussi, dans le commencement même de ses démêlés avec le roi de France, il fit venir en Italie Charles de Valois, frère de Philippe, qui arriva avec quelque gendarmerie ; il lui fit épouser la petite-fille de Baudouin, second empereur de Constantinople dépossédé, et nomma solennellement Valois empereur d’Orient ; de sorte qu’en deux années il donna l’empire d’Orient, celui d’Occident, et la France ; car nous avons déjà remarqué[1] que ce pape, réconcilié avec Albert d’Autriche, lui fit un don de la France (1303). Il n’y eut de ces présents que celui de l’empire d’Allemagne qui fut reçu, parce qu’Albert le possédait en effet.

Le pape, avant sa réconciliation avec l’empereur, avait donné à Charles de Valois un autre titre, celui de vicaire de l’empire en Italie, et principalement en Toscane. Il pensait, puisqu’il nommait les maîtres, devoir, à plus forte raison, nommer les vicaires : aussi Charles de Valois, pour lui plaire, persécuta violemment le parti gibelin à Florence. C’est pourtant précisément dans le temps que Valois lui rend ce service qu’il outrage et qu’il pousse à bout le roi de France son frère. Rien ne prouve mieux que la passion et l’animosité l’emportent souvent sur l’intérêt même.

Philippe le Bel, qui voulait dépenser beaucoup d’argent, et qui en avait peu, prétendait que le clergé, comme l’ordre le plus riche de l’État, devait contribuer aux besoins de la France sans la permission de Rome. Le pape voulait avoir l’argent d’une décime accordée sous le prétexte d’un secours pour la Terre Sainte, qui n’était plus secourable, et qui était sous le pouvoir d’un descen-

  1. Chapitre lxiii, page 505.