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DE PHILIPPE LE BEL, ET DE BONIFACE VIII.

contre le pape, sans rompre avec la papauté. Le roi convoqua les états. Était-il donc nécessaire de les assembler pour décider que Boniface VIII n’était pas roi de France ?

Le cardinal Le Moine, Français de naissance, qui n’avait plus d’autre patrie que Rome, vint à Paris pour négocier ; et, s’il ne pouvait réussir, pour excommunier le royaume. Ce nouveau légat avait ordre de mener à Rome le confesseur du roi, qui était dominicain, afin qu’il y rendit compte de sa conduite et de celle de Philippe. Tout ce que l’esprit humain peut inventer pour élever la puissance du pape était épuisé : les évêques soumis à lui ; de nouveaux ordres de religieux relevant immédiatement du saint-siége, portant partout son étendard ; un roi qui confesse ses plus secrètes pensées, ou du moins qui passe pour les confesser à un de ses moines ; et enfin ce confesseur sommé par le pape, son maître, d’aller rendre compte à Rome de la conscience du roi son pénitent. Cependant Philippe ne plia point ; il fait saisir le temporel de tous les prélats absents : les états généraux appellent au futur concile et au futur pape. Ce remède même tenait un peu de la faiblesse, car appeler au pape, c’est reconnaître son autorité ; et quel besoin les hommes ont-ils d’un concile et d’un pape pour savoir que chaque gouvernement est indépendant, et qu’on ne doit obéir qu’aux lois de sa patrie ?

Alors le pape ôte à tous les corps ecclésiastiques de France le droit des élections, aux universités les grades, le droit d’enseigner, comme s’il révoquait une grâce qu’il eût donnée : ces armes étaient faibles, il voulut y joindre celles de l’empire d’Allemagne.

Vous avez vu les papes donner l’empire, le Portugal, la Hongrie, le Danemark, l’Angleterre, l’Aragon, la Sicile, presque tous les royaumes ; celui de France n’avait pas encore été transféré par une bulle. Boniface enfin le mit dans le rang des autres États, et en fit un don à l’empereur Albert d’Autriche, ci-devant excommunié par lui, et maintenant son cher fils, et le soutien de l’Église. Remarquez les mots de sa bulle (1303) : « Nous vous donnons par la plénitude de notre puissance... le royaume de France, qui appartient de droit aux empereurs d’Occident. » Boniface et son dataire ne songeaient pas que, si la France appartenait de droit aux empereurs, la plénitude de la puissance papale était fort inutile. Il y avait pourtant un reste de raison dans cette démence ; on flattait la prétention de l’empire sur tous les États occidentaux : car vous verrez toujours que les jurisconsultes allemands croyaient ou feignaient de croire que le peuple de Rome s’étant donné avec son évêque à Charlemagne, tout l’Occident devait appartenir à