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DE PHILIPPE LE BEL, ET DE BONIFACE VIII.

faits cette fable du Christ ! » qu’il niait en conséquence les mystères de la Trinité, de l’incarnation, de la transsubstantiation : ces dépositions se trouvent encore dans les enquêtes juridiques qu’on a recueillies. Le grand nombre de témoins fortifie ordinairement une accusation, mais ici il l’affaiblit : il n’y a point du tout d’apparence qu’un souverain pontife ait proféré devant treize témoins ce qu’on dit rarement à un seul. Le roi voulait qu’on exhumât le pape, et qu’on fît brûler ses os par le bourreau : il osait flétrir ainsi la chaire pontificale, et ne sut pas se soustraire à son obéissance. Clément V fut assez sage pour faire évanouir dans les délais une entreprise trop flétrissante pour l’Église.

La conclusion de toute cette affaire fut que, loin de faire le procès à la mémoire de Boniface VIII, le roi consentit à recevoir seulement la mainlevée de l’excommunication portée par ce Boniface contre lui et son royaume. Il souffrit même que Nogaret, qui l’avait servi, qui n’avait agi qu’en son nom, qui l’avait vengé de Boniface, fût condamné par le successeur de ce pape à passer sa vie en Palestine. Tout le grand éclat de Philippe le Bel ne se termina qu’à sa honte. Jamais vous ne verrez, dans ce grand tableau du monde, un roi de France l’emporter à la longue sur un pape. Ils feront ensemble des marchés ; mais Rome y gagnera toujours quelque chose ; il en coûtera toujours de l’argent à la France. Vous ne verrez que les parlements du royaume combattre avec inflexibilité les souplesses de la cour de Rome, et très-souvent la politique ou la faiblesse du cabinet, la nécessité des conjonctures, les intrigues des moines, rendront la fermeté des parlements inutile ; et cette faiblesse durera jusqu’à ce qu’un roi daigne dire résolument : Je veux briser mes fers et ceux de ma nation.

(1306) Philippe le Bel, pour se dépiquer, chassa tous les Juifs du royaume, s’empara de leur argent, et leur défendit d’y revenir, sous peine de la vie. Ce ne fut point le parlement qui rendit cet arrêt : ce fut par un ordre secret, donné dans son conseil privé, que Philippe punit l’usure juive par une injustice. Les peuples se crurent vengés, et le roi fut riche.

Quelque temps après, un événement qui eut encore sa source dans cet esprit vindicatif de Philippe le Bel étonna l’Europe et l’Asie.

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