Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
544
CHAPITRE LXXI.

que seize cardinaux, onze français, un espagnol, et quatre italiens : le peuple romain, malgré son goût pour la liberté, malgré son aversion pour ses maîtres, voulait un pape qui résidât à Rome, parce qu’il haïssait beaucoup plus les ultramontains que les papes, et surtout parce que la présence d’un pontife attirait à Rome des richesses. Les Romains menacèrent les cardinaux de les exterminer s’ils leur donnaient un pontife étranger. (1378) Les électeurs, épouvantés, nommèrent pour pape Brigano, évêque de Bari, Napolitain, qui prit le nom d’Urbain, et dont nous avons fait mention[1] en parlant de la reine Jeanne. C’était un homme impétueux et farouche, et par cela même peu propre à une telle place. A peine fut-il intronisé qu’il déclara, dans un consistoire, qu’il ferait justice des rois de France et d’Angleterre, qui troublaient, disait-il, la chrétienté par leurs querelles : ces rois étaient Charles le Sage et Édouard III. Le cardinal de La Grange, non moins impétueux que le pape, le menaçant de la main, lui dit qu’il avait menti ; et ces trois paroles plongèrent l’Europe dans une discorde de quarante années.

La plupart des cardinaux, les Italiens mêmes, choqués de l’humeur féroce d’un homme si peu fait pour gouverner, se retirèrent dans le royaume de Naples. Là ils déclarent que l’élection du pape, faite avec violence, est nulle de plein droit ; ils procèdent unanimement à l’élection d’un nouveau pontife. Les cardinaux français eurent alors la satisfaction assez rare de tromper les cardinaux italiens : on promit la tiare à chaque Italien en particulier, et ensuite on élut Robert, fils d’Amédée, comte de Genève, qui qui prit le nom de Clément VII. Alors l’Europe se partagea : l’empereur Charles IV, l’Angleterre, la Flandre, et la Hongrie, reconnurent Urbain, à qui Rome et l’Italie obéissaient ; la France, l’Écosse, la Savoie, la Lorraine, furent pour Clément. Tous les ordres religieux se divisèrent, tous les docteurs écrivirent, toutes les universités donnèrent des décrets. Les deux papes se traitaient mutuellement d’usurpateurs et d’Antechrist ; ils s’excommuniaient réciproquement. Mais, ce qui devint réellement funeste (1379), on se battit avec la double fureur d’une guerre civile et d’une guerre de religion. Des troupes gasconnes et bretonnes, levées par le neveu de Clément, marchent en Italie, surprennent Rome ; ils y tuent, dans leur première furie, tout ce qu’ils rencontrent ; mais bientôt le peuple romain, se ralliant contre eux, les extermine dans ses murs, et on y égorge tout ce qu’on trouve de

  1. Chapitre lxix, page 537, où le nom est rectifié.