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CHAPITRE LXXXVIII.

tare. Cinq princes mahométans, que Bajazet avait dépossédés vers les rives du Pont-Euxin, imploraient dans le même temps son secours. Il descendit dans l’Asie Mineure, appelé par les musulmans et par les chrétiens.

Ce qui peut donner une idée avantageuse de son caractère, c’est qu’on le voit dans cette guerre observer au moins le droit des nations. Il commence par envoyer des ambassadeurs à Bajazet, et lui demande d’abandonner le siége de Constantinople, et de rendre justice aux princes musulmans dépossédés. Bajazet reçoit ces propositions avec colère et avec mépris. Tamerlan lui déclare la guerre ; il marche à lui. Bajazet lève le siége de Constantinople, (1401) et livre entre Césarée et Ancyre cette grande bataille où il semblait que toutes les forces du monde fussent assemblées. Sans doute les troupes de Tamerlan étaient bien disciplinées, puisque après le combat le plus opiniâtre elles vainquirent celles qui avaient défait les Grecs, les Hongrois, les Allemands, les Français, et tant de nations belliqueuses. On ne saurait douter que Tamerlan, qui jusque-là combattit toujours avec les flèches et le cimeterre, ne fît usage du canon contre les Ottomans, et que ce ne soit lui qui ait envoyé des pièces d’artillerie dans le Mogol, où l’on en voit encore, sur lesquelles sont gravés des caractères inconnus. Les Turcs se servirent contre lui, dans la bataille de Césarée, non-seulement de canons, mais aussi de l’ancien feu grégeois. Ce double avantage eût donné aux Ottomans une victoire infaillible si Tamerlan n’eût eu de l’artillerie.

Bajazet vit son fils aîné, Mustapha, tué en combattant auprès de lui, et tomba captif entre les mains de son vainqueur avec un de ses autres fils, nommé Musa, ou Moïse. On aime à savoir les suites de cette bataille mémorable entre deux nations qui semblaient se disputer l’Europe et l’Asie, et entre deux conquérants dont les noms sont encore si célèbres ; bataille qui d’ailleurs sauva pour un temps l’empire des Grecs, et qui pouvait aider à détruire celui des Turcs.

Aucun des auteurs persans et arabes qui ont écrit la vie de Tamerlan ne dit qu’il enferma Bajazet dans une cage de fer ; mais les annales turques le disent : est-ce pour rendre Tamerlan odieux ? est-ce plutôt parce qu’ils ont copié des historiens grecs ? Les auteurs arabes prétendent que Tamerlan se faisait verser à boire par l’épouse de Bajazet à demi nue ; et c’est ce qui a donné lieu à la fable reçue que les sultans turcs ne se marièrent plus depuis cet outrage fait à une de leurs femmes. Cette fable est démentie par le mariage d’Amurat II, que nous verrons épouser