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CONSTANTINOPLE PRISE PAR LES TURCS.

Ce déchirement de l’empire, comme on l’a vu, était l’unique effet considérable des croisades. Dévasté par les Francs, repris par ses anciens maîtres, mais repris pour être ravagé encore, il était étonnant qu’il subsistât. Il y avait deux partis dans Constantinople, acharnés l’un contre l’autre par la religion, à peu près comme dans Jérusalem quand Vespasien et Titus l’assiégèrent. L’un était celui des empereurs, qui, dans la vaine espérance d’être secourus, consentaient de soumettre l’Église grecque à la latine ; l’autre, celui des prêtres et du peuple, qui, se souvenant encore de l’invasion des croisés, avaient en exécration la réunion des deux Églises. On s’occupait toujours de controverses, et les Turcs étaient aux portes.

Jean II Paléologue, le même qui s’était soumis au pape dans la vaine espérance d’être secouru, avait régné vingt-sept ans sur les débris de l’empire romain-grec ; et après sa mort, arrivée en 1449, telle fut la faiblesse de l’empire que Constantin, l’un de ses fils, fut obligé de recevoir du Turc Amurat II, comme de son seigneur, la confirmation de la dignité impériale. Un frère de ce Constantin eut Lacédémone, un autre eut Corinthe, un troisième eut ce que les Vénitiens n’avaient pas dans le Péloponnèse.

(1451) Telle était la situation des Grecs quand Mahomet Bouyouk, ou Mahomet le Grand, succéda pour la seconde fois au sultan Amurat, son père. Les moines ont peint ce Mahomet comme un barbare insensé, qui tantôt coupait la tête à sa prétendue maîtresse Irène pour apaiser les murmures des janissaires, tantôt faisait ouvrir le ventre à quatorze de ses pages pour voir qui d’entre eux avait mangé un melon. On trouve encore ces histoires absurdes dans nos dictionnaires, qui ont été longtemps, pour la plupart, des archives alphabétiques du mensonge.

Toutes les annales turques nous apprennent que Mahomet avait été le prince le mieux élevé de son temps : ce que nous venons de dire d’Amurat, son père, prouve assez qu’il n’avait pas négligé l’éducation de l’héritier de sa fortune. On ne peut encore disconvenir que Mahomet n’ait écouté le devoir d’un fils, et n’ait étouffé son ambition, quand il fallut rendre le trône qu’Amurat lui avait cédé. Il redevint deux fois sujet, sans exciter le moindre trouble. C’est un fait unique dans l’histoire, et d’autant plus singulier que Mahomet joignait à son ambition la fougue d’un caractère violent.

Il parlait le grec, l’arabe, le persan ; il entendait le latin ; il dessinait ; il savait ce qu’on pouvait savoir alors de géographie et de mathématiques ; il aimait la peinture. Aucun amateur des arts