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L’EUROPE, AU TEMPS DU CONCILE DE CONSTANCE.

Toutes les parties de la chrétienté se correspondaient même au milieu des discordes : l’Europe était en grand ce qu’avait été la Grèce, à la politesse près.

Rome et Rhodes étaient deux villes communes à tous les chrétiens du rite latin, et ils avaient un commun ennemi dans le sultan des Turcs. Les deux chefs du monde catholique, l’empereur et le pape, n’avaient précisément qu’une grandeur d’opinion, nulle puissance réelle. Si Sigismond n’avait pas eu la Bohême et la Hongrie, dont il tirait encore très-peu de chose, le titre d’empereur n’eût été pour lui qu’onéreux. Les domaines de l’empire étaient tous aliénés ; les princes et les villes d’Allemagne ne payaient point de redevance. Le corps germanique était aussi libre, mais non si bien réglé qu’il l’a été par la paix de Vestphalie. Le titre de roi d’Italie était aussi vain que celui de roi d’Allemagne ; l’empereur ne possédait pas une ville au delà des Alpes.

C’est toujours le même problème à résoudre, comment l’Italie n’a pas affermi sa liberté, et n’a pas fermé pour jamais l’entrée aux étrangers. Elle y travailla toujours, et dut se flatter alors d’y parvenir : elle était florissante. La maison de Savoie s’agrandissait sans être encore puissante : les souverains de ce pays, feudataires de l’empire, étaient des comtes. Sigismond, qui donnait au moins des titres, les fit ducs en 1416 ; aujourd’hui ils sont rois indépendants, malgré le titre de feudataires. Les Viscontis possédaient tout le Milanais ; et ce pays devint depuis encore plus considérable sous les Sforces.

Les Florentins industrieux étaient recommandables par la liberté, le génie et le commerce. On ne voit que de petits États jusqu’aux frontières du royaume de Naples, qui tous aspirent à la liberté. Ce système de l’Italie dure depuis la mort de Frédéric II ; jusqu’aux temps des papes Alexandre VI et Jules II, ce qui fait une période d’environ trois cents années ; mais ces trois cents années se sont passées en factions, en jalousies, en petites entreprises d’une ville sur une autre, et de tyrans qui s’emparaient de ces villes. C’est l’image de l’ancienne Grèce, mais image barbare : on cultivait les arts, et on conspirait ; mais on ne savait pas combattre comme aux Thermopyles et à Marathon.

Voyez dans Machiavel l’histoire de Castracani, tyran de Lucques et de Pistoie, du temps de l’empereur Louis de Bavière : de pareils desseins, heureux ou malheureux, sont l’histoire de toute l’Italie. Lisez la vie d’Ezzelino da Romano, tyran de Padoue, très-naïvement et très-bien écrite par Pietro Gerardo, son contemporain : cet écrivain affirme que le tyran fit périr plus de