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CHAPITRE CII.

parer de leurs richesses, on les reçut parce qu’ils en rapportaient ; et c’est contre eux principalement que fut établi le tribunal de l’Inquisition, afin qu’au moindre acte de leur religion, on pût juridiquement leur arracher leurs biens et la vie. On ne traite point ainsi dans les Indes les banians, qui y sont précisément ce que les Juifs sont en Europe, séparés de tous les peuples par une religion aussi ancienne que les annales du monde, unis avec eux par la nécessité du commerce dont ils sont les facteurs, et aussi riches que les Juifs le sont parmi nous. Ces banians et les guèbres, aussi anciens qu’eux, aussi séparés qu’eux des autres hommes, sont cependant bien voulus partout ; les Juifs seuls sont en horreur à tous les peuples chez lesquels ils sont admis. Quelques Espagnols ont prétendu que cette nation commençait à être redoutable. Elle était pernicieuse par ses profits sur les Espagnols ; mais n’étant point guerrière, elle n’était point à craindre. On feignait de s’alarmer de la vanité que tiraient les Juifs d’être établis sur les côtes méridionales de ce royaume longtemps avant les chrétiens. Il est vrai qu’ils avaient passé en Andalousie de temps immémorial. Ils enveloppaient cette vérité de fables ridicules, telles qu’en a toujours débité ce peuple, chez qui les gens de bon sens ne s’appliquent qu’au négoce, et où le rabbinisme est abandonné à ceux qui ne peuvent mieux faire. Les rabbins espagnols avaient beaucoup écrit pour prouver qu’une colonie de Juifs avait fleuri sur les côtes, du temps de Salomon, et que l’ancienne Bétique payait un tribut à ce troisième roi de la Palestine. Il est très-vraisemblable que les Phéniciens, en découvrant l’Andalousie, et en y fondant des colonies, y avaient établi des Juifs, qui servirent de courtiers, comme ils en ont servi partout. Mais de tout temps les Juifs ont défiguré la vérité par des fables absurdes ; ils mirent en œuvre de fausses médailles, de fausses inscriptions. Cette espèce de fourberie, jointe aux autres plus essentielles qu’on leur reprochait, ne contribua pas peu à leur disgrâce.

C’est depuis ce temps qu’on distingua en Espagne et en Portugal les anciens chrétiens et les nouveaux, les familles dans lesquelles il était entré des filles mahométanes, et celles dans lesquelles il en était entré de juives.

Cependant le profit passager que le gouvernement tira de la violence faite à ce peuple usurier, le priva bientôt du retenu certain que les Juifs payaient auparavant au fisc royal. Cette disette se fit sentir jusqu’au temps où l’on recueillit les trésors du nouveau monde. On y remédia autant que l’on put par des bulles. Celle de la Cruzade, donnée par Jules II (1509), produisit plus au