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CONQUÊTE DE NAPLES PAR CHARLES VIII.

d’Aragon, Isabelle de Castille, se liguaient ensemble. Il fallait avoir prévu cette ligue, et pouvoir la combattre. Il repartit pour la France cinq mois après l’avoir quittée. Tel fut, ou son aveuglement, ou son mépris pour les Napolitains, ou plutôt son impuissance, qu’il ne laissa que quatre à cinq mille Français pour conserver sa conquête ; et il se trompa au point de croire que des seigneurs du pays, comblés de ses bienfaits, soutiendraient son parti pendant son absence.

Dans son retour auprès de Plaisance, vers le village de Fornovo, que nous nommons Fornoue, rendu célèbre par cette journée, il trouve l’armée des confédérés forte d’environ trente mille hommes. Il n’en avait que huit mille. S’il était battu, il perdait la liberté ou la vie ; s’il battait, il ne gagnait que l’avantage de la retraite. On vit alors ce qu’il eût fait dans cette expédition si la prudence avait secondé le courage. (1495) Les Italiens ne tinrent pas longtemps devant lui ; il ne perdit pas deux cents hommes : les alliés en perdirent quatre mille. Tel est, d’ordinaire, l’avantage d’une troupe aguerrie qui combat avec son roi contre une multitude mercenaire. Guicciardino dit que, depuis quelques siècles, les Italiens n’avaient jamais donné une bataille si sanglante. Les Vénitiens comptèrent pour une victoire d’avoir, dans ce combat, pillé quelques bagages du roi. On porta sa tente en triomphe dans Venise. Charles VIII ne vainquit que pour s’en retourner en France, laissant encore la moitié de sa petite armée près de Novare dans le Milanais, où le duc d’Orléans fut bientôt assiégé, et dont il fut obligé de sortir avec les restes d’une garnison exténuée de misère et de faim.

Les ligués pouvaient encore l’attaquer avec un grand avantage ; mais ils n’osèrent. Nous ne pouvons résister, disaient-ils, alla furia francese. Les Français firent précisément en Italie ce que les Anglais avaient fait en France : ils vainquirent en petit nombre, et ils perdirent leurs conquêtes.

Quand le roi fut à Turin, on fut bien étonné de voir un camérier du pape Alexandre VI qui ordonna au roi de France de retirer ses troupes du Milanais et de Naples, et de venir rendre compte de sa conduite au saint-père, sous peine d’excommunication. Cette bravade n’eût été qu’un sujet de plaisanterie si d’ailleurs la conduite du pape n’eût pas été un sujet de plainte très-sérieux.

Le roi revint en France, et fut aussi négligent à conserver ses conquêtes qu’il avait été prompt à les faire. Frédéric, oncle de Fernando, ce roi de Naples détrôné, devenu roi titulaire après la