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L’EUROPE, AU TEMPS DU CONCILE DE CONSTANCE.

célèbre, et mettait en mer des flottes aussi considérables que Gênes.

Parme et Plaisance appartenaient aux Viscontis : les papes, réconciliés avec eux, leur en donnèrent l’investiture, parce que les Viscontis ne voulurent pas alors la demander aux empereurs, dont la puissance s’anéantissait en Italie. La maison d’Este, qui avait produit cette fameuse comtesse Mathilde, bienfaitrice du saint-siége, possédait Ferrare et Modène. Elle tenait Ferrare de l’empereur Othon III, et cependant le saint-siége prétendait des droits sur Ferrare, et en donnait quelquefois l’investiture, ainsi que de plusieurs États de la Romagne : source intarissable de confusion et de trouble.

Il arriva que pendant la transmigration du saint-siége des bords du Tibre à ceux du Rhône, il y eut deux puissances imaginaires en Italie : les empereurs et les papes, dont toutes les autres recevaient des diplômes pour légitimer leurs usurpations ; et quand la chaire pontificale fut rétablie dans Rome, elle y fut sans pouvoir réel, et les empereurs furent oubliés jusqu’à Maximilien Ier. Nul étranger ne possédait alors de terrain en Italie : on ne pouvait plus appeler étrangères la maison d’Anjou établie à Naples en 1266, et celle d’Aragon, souveraine de Sicile depuis 1287. Ainsi l’Italie, riche, remplie de villes florissantes, féconde en hommes de génie, pouvait se mettre en état de ne recevoir jamais la loi d’aucune nation. Elle avait même un avantage sur l’Allemagne : c’est qu’aucun évêque, excepté le pape, ne s’était fait souverain, et que tous ces différents États, gouvernés par des séculiers, en devaient être plus propres à la guerre.

Si les divisions dont naît quelquefois la liberté publique troublaient l’Italie, elles n’éclataient pas moins en Allemagne, où les seigneurs ont tous des prétentions à la charge les uns des autres ; mais, comme vous l’avez déjà remarqué, l’Italie ne fit jamais un corps, et l’Allemagne en fit un. Le flegme germanique a conservé jusqu’ici la constitution de l’État saine et entière ; l’Italie, moins grande que l’Allemagne, n’a jamais pu seulement se former une constitution ; et à force d’esprit et de finesse elle s’est trouvée partagée en plusieurs États affaiblis, subjugués, et ensanglantés par des nations étrangères.

Naples et Sicile, qui avaient formé une puissance formidable sous les conquérants normands, n’étaient plus, depuis les vêpres siciliennes, que deux États jaloux l’un de l’autre, qui se nuisaient mutuellement. Les faiblesses de Jeanne Ire ruinèrent Naples et la Provence, dont elle était souveraine ; les faiblesses plus honteuses