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CHAPITRE CXIV.

Ce jeune roi, bouillant d’ambition et de courage, attaqua seul la France, sans être secouru des troupes de l’empereur Maximilien, ni de Ferdinand le Catholique, ses alliés. Le vieil empereur, toujours entreprenant et pauvre, servit dans l’armée du roi d’Angleterre, et ne rougit point d’en recevoir une paye de cent écus par jour. Henri VIII, avec ses seules forces, semblait près de renouveler les temps funestes de Poitiers et d’Azincourt. Il eut une victoire complète à la journée de Guinegaste (1513), qu’on nomma la journée des éperons. Il prit Térouane, qui à présent n’existe plus, et Tournai, ville de tout temps incorporée à la France, et le berceau de la monarchie française.

Louis XII, alors veuf d’Anne de Bretagne, ne put avoir la paix avec Henri VIII qu’en épousant sa sœur Marie d’Angleterre ; mais au lieu que les rois, aussi bien que les particuliers, reçoivent une dot de leurs femmes, Louis XII en paya une : il lui en coûta un million d’écus pour épouser la sœur de son vainqueur. Rançonné à la fois par l’Angleterre et par les Suisses, toujours trompé par Ferdinand le Catholique, et chassé de ses conquêtes d’Italie par la fermeté de Jules II, il finit bientôt après sa carrière (1515).

Comme il mit peu d’impôts, il fut appelé Père par le peuple. Les héros dont la France était pleine l’eussent aussi appelé leur père s’il avait, en imposant des tributs nécessaires, conservé l’Italie, réprimé les Suisses, secouru efficacement la Navarre, repoussé l’Anglais, et préservé la Picardie et la Bourgogne d’invasions plus ruineuses que ces impôts n’auraient pu l’être.

Mais s’il fut malheureux au dehors de son royaume, il fut heureux au dedans. On ne peut reprocher à ce roi que la vente des charges, laquelle ne s’étendit pas sous lui aux offices de judicature : il en tira en dix-sept années de règne la somme de douze cent mille livres dans le seul district de Paris ; mais les tailles, les aides, furent modiques. Il eut toujours une attention paternelle à ne point faire porter au peuple un fardeau pesant : il ne se croyait pas roi des Français comme un seigneur l’est de sa terre, uniquement pour en tirer la substance. On ne connut de son temps aucune imposition nouvelle, (1580) et lorsque Fromenteau présenta au dissipateur Henri III un état de comparaison de ce qu’on exigeait sous ce malheureux prince, avec ce qu’on avait payé sous Louis XII, on vit à chaque article une somme immense pour Henri III, et une modique pour Louis, si c’était un ancien droit ; mais quand c’était une taxe extraordinaire, il y avait à l’article Louis XII, néant ; et malheureusement