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DE L’ANGLETERRE, ET DE MARGUERITE D’ANJOU.

femme entreprenante, courageuse, inébranlable ; héroïne, si elle n’avait d’abord souillé ses vertus par un crime. Elle eut tous les talents du gouvernement et toutes les vertus guerrières ; mais aussi elle se livra quelquefois aux cruautés et aux attentats que l’ambition, la guerre et les factions inspirent. Sa hardiesse et la pusillanimité de son mari furent les premières sources des calamités publiques.

(1447) Elle voulut gouverner ; et il fallut se défaire du duc de Glocester, oncle du roi, et mari de cette duchesse déjà sacrifiée à ses ennemis, et confinée en prison. On fait arrêter ce duc sous prétexte d’une conspiration nouvelle, et le lendemain il est trouvé mort dans son lit. Cette violence rendit le gouvernement de la reine et le nom du roi odieux. Rarement les Anglais haïssent sans conspirer. Il se trouvait alors en Angleterre un descendant d’Édouard III, de qui même la branche était plus près d’un degré de la souche commune que la branche alors régnante. Ce prince était un duc d’York ; il portait sur son écu une rose blanche, et le roi Henri VI, de la branche de Lancastre, portait une rose rouge. C’est de là que vinrent ces noms fameux consacrés à la guerre civile.

Dans les commencements des factions, il faut être protégé par un parlement, en attendant que ce parlement devienne l’esclave du vainqueur. (1450) Le duc d’York accuse devant le parlement le duc de Suffolk, premier ministre et favori de la reine, à qui ces deux titres avaient valu la haine de la nation. Voici un étrange exemple de ce que peut cette haine. La cour, pour contenter le peuple, bannit d’Angleterre le premier ministre. Il s’embarque pour passer en France. Le capitaine d’un vaisseau de guerre garde-côte rencontre le vaisseau qui porte ce ministre ; il demande qui est à bord : le patron dit qu’il mène en France le duc de Suffolk. « Vous ne conduirez pas ailleurs celui qui est accusé par mon pays », dit le capitaine ; et sur-le-champ il lui fait trancher la tête. C’est ainsi que les Anglais en usaient en pleine paix. Bientôt la guerre ouvrit une carrière plus horrible.

Le roi Henri VI avait des maladies de langueur qui le rendaient, pendant des années entières, incapable d’agir et de penser. L’Europe vit, dans ce siècle, trois souverains que le dérangement des organes du cerveau plongea dans les plus extrêmes malheurs : l’empereur Venceslas, Charles VI de France, et Henri VI d’Angleterre. (1455) Pendant une de ces années funestes de la langueur de Henri VI, le duc d’York et son parti se rendent les maîtres du conseil. Le roi, comme en revenant d’un long assou-