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SUITE DES TROUBLES D’ANGLETERRE.

depuis longtemps avec horreur cette couronne usurpée par tant d’assassinats, trahit son indigne maître, et passa avec un corps de troupes du côté de Richmond (1485). Richard avait de la valeur ; c’était sa seule vertu. Quand il vit la bataille désespérée, il se jeta en fureur au milieu de ses ennemis, et y reçut une mort plus glorieuse qu’il ne méritait. Son corps, nu et sanglant, trouvé dans la foule des morts, fut porté dans la ville de Leicester, sur un cheval, la tête pendante d’un côté et les pieds de l’autre. Il y resta deux jours exposé à la vue du peuple, qui, se rappelant tous ses crimes, n’eut pour lui aucune pitié. Stanley, qui lui avait arraché la couronne de la tête, lorsqu’il avait été tué, la porta à Henri de Richmond.

Les victorieux chantèrent le Te Deum sur le champ de bataille ; et après cette prière, tous les soldats, inspirés d’un même mouvement, s’écrièrent : Vive notre roi Henri ! Cette journée mit fin aux désolations dont la rose rouge et la rose blanche avaient rempli l’Angleterre. Le trône, toujours ensanglanté et renversé, fut enfin ferme et tranquille. Les malheurs qui avaient persécuté la famille d’Édouard III cessèrent. Henri VII, en épousant une fille d’Édouard IV, réunit les droits des Lancastre et des York en sa personne. Ayant su vaincre, il sut gouverner. Son règne, qui fut de vingt-quatre ans, et presque toujours paisible, humanisa un peu les mœurs de la nation. Les parlements qu’il assembla, et qu’il ménagea, firent de sages lois ; la justice distributive rentra dans tous ses droits ; le commerce, qui avait commencé à fleurir sous le grand Édouard III, ruiné pendant les guerres civiles, commença à se rétablir. L’Angleterre en avait besoin. On voit qu’elle était pauvre, par la difficulté extrême que Henri VII eut à tirer de la ville de Londres un prêt de deux mille livres sterling, qui ne revenait pas à cinquante mille livres de notre monnaie d’aujourd’hui. Son goût et la nécessité le rendirent avare. Il eût été sage s’il n’eût été qu’économe ; mais une lésine honteuse et des rapines fiscales ternirent sa gloire. Il tenait un registre secret de tout ce que lui valaient les confiscations. Jamais les grands rois n’ont descendu à ces bassesses. Ses coffres se trouvèrent remplis à sa mort de deux millions de livres sterling, somme immense, qui eût été plus utile en circulant dans le public qu’en restant ensevelie dans le trésor du prince. Mais dans un pays où les peuples étaient plus enclins à faire des révolutions qu’à donner de l’argent à leurs rois, il était nécessaire que le roi eût un trésor.

Son règne fut plutôt inquiété que troublé par deux aventures étonnantes. Un garçon boulanger lui disputa la couronne : il se