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CHAPITRE CXIX.

Tout sert à faire voir que si, dans les royaumes héréditaires, on peut se plaindre des abus du despotisme, les États électifs sont exposés à de plus grands orages, et que la liberté même, cet avantage si naturel et si cher, a quelquefois produit de grands malheurs. La jeune Marie-roi était gouvernée, aussi bien que l’État, par sa mère Élisabeth de Bosnie. Les seigneurs furent mécontents d’Élisabeth ; ils se servirent de leur droit de mettre la couronne sur une autre tête. Ils la donnèrent à Charles de Durazzo, surnommé le Petit, descendant en droite ligne du frère de saint Louis, qui régna dans les Deux-Siciles (1386). Il arrive de Naples à Bude : il est couronné solennellement, et reconnu roi par Elisabeth elle-même.

Voici un de ces événements étranges sur lesquels les lois sont muettes, et qui laissent en doute si ce n’est pas un crime de punir le crime même.

Élisabeth et sa fille Marie, après avoir vécu en intelligence autant qu’il était possible avec celui qui possédait leur couronne, l’invitent chez elles et le font assassiner en leur présence. Elles soulèvent le peuple en leur faveur ; et la jeune Marie, toujours conduite par sa mère, reprend la couronne.

(1389) Quelque temps après, Élisabeth et Marie voyagent dans la basse Hongrie. Elles passent imprudemment sur les terres d’un comte de Hornac, ban de Croatie. Ce ban était ce qu’on appelle en Hongrie comte suprême, commandant les armées, et rendant la justice. Il était attaché au roi assassiné. Lui était-il permis ou non de venger la mort de son roi ? Il ne délibéra pas, et parut consulter la justice dans la cruauté de sa vengeance. Il fait le procès aux deux reines, fait noyer Élisabeth, et garde Marie en prison, comme la moins criminelle.

Dans le même temps, Sigismond, qui depuis fut empereur, entrait en Hongrie, et venait épouser la reine Marie. Le ban de Croatie se crut assez puissant et fut assez hardi pour lui amener lui-même cette reine dont il avait fait noyer la mère. Il semble qu’il crut n’avoir fait qu’un acte de justice sévère. Mais Sigismond le fit tenailler et mourir dans les tourments. Sa mort souleva la noblesse hongroise, et ce règne ne fut qu’une suite de troubles et de factions.

On peut régner sur beaucoup d’États, et n’être pas un puissant prince. Ce Sigismond fut à la fois empereur, roi de Bohême et de Hongrie. Mais en Hongrie il fut battu par les Turcs, et mis une fois en prison par ses sujets révoltés. En Bohême il fut presque toujours en guerre contre les Hussites ; et dans l’empire, son auto-