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FRANÇOIS Ier, CHARLES-QUINT, ET SOLIMAN.

toutes les fois que le direz, mentirez » ; la loi de la politique était pour François Ier, mais la loi de la chevalerie était contre lui.

Le roi voulut assurer son honneur en proposant un duel à Charles-Quint, comme Philippe de Valois avait défié Édouard III. L’empereur l’accepta, et lui envoya même un héraut qui apportait ce qu’on appelait la sûreté du camp, c’est-à-dire la désignation du lieu du combat et les conditions. François Ier reçut ce héraut dans la grand’salle du palais, en présence de toute la cour et des ambassadeurs ; mais il ne voulut pas lui permettre de parler. Le duel n’eut point lieu. Tant d’appareil n’aboutit qu’au ridicule, dont le trône même ne garantit pas les hommes. Ce qu’il y eut encore d’étrange dans toute cette aventure, c’est que le roi demanda au pape Clément VII une bulle d’absolution pour avoir cédé la mouvance de la Flandre et de l’Artois. Il se faisait absoudre pour avoir gardé un serment qu’il ne pouvait violer, et il ne se faisait pas absoudre d’avoir juré qu’il céderait la Bourgogne et de ne l’avoir pas rendue. On ne croirait pas une telle farce si cette bulle du 25 novembre n’existait pas.

Cette même fortune qui mit un roi dans les fers de l’empereur fit encore le pape Clément VII son prisonnier (1525), sans qu’il le prévît, sans qu’il y eût la moindre part. La crainte de sa puissance avait uni contre lui le pape, le roi d’Angleterre, et la moitié de l’Italie (1527). Ce même duc de Bourbon, si fatal à François Ier, le fut de même à Clément VII. Il commandait sur les frontières du Milanais une armée d’Espagnols, d’Italiens, et d’Allemands, victorieuse, mais mal payée, et qui manquait de tout. Il propose à ses capitaines et à ses soldats d’aller piller Rome pour leur solde, précisément comme autrefois les Hérules et les Goths avaient fait ce voyage. Ils y volèrent, malgré une trêve signée entre le pape et le vice-roi de Naples (1527, 5 mai). On escalade les murs de Rome : Bourbon est tué en montant à la muraille ; mais Rome est prise, livrée au pillage, saccagée comme elle le fut par Alaric ; et le pape, réfugié au château Saint-Ange, est prisonnier.

Les troupes allemandes et espagnoles vécurent neuf mois à discrétion dans Rome : le pillage monta, dit-on, à quinze millions d’écus romains ; mais comment évaluer au juste de tels désastres ?

Il semble que c’était là le temps d’être en effet empereur de Rome, et de consommer ce qu’avaient commencé les Charlemagne et les Othon ; mais, par une fatalité singulière, dont la seule cause est toujours venue de la jalousie des nations, le nouvel empire romain n’a jamais été qu’un fantôme.