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DE LÉON X, ET DE L’ÉGLISE.

Les cardinaux Petrucci, Soli, et quelques autres, irrités de ce que le pape avait ôté le duché d’Urbin au neveu de Jules II, corrompirent un chirurgien qui devait panser un ulcère secret du pape ; et la mort de Léon X devait être le signal d’une révolution dans beaucoup de villes de l’État ecclésiastique. La conspiration fut découverte (1517). Il en coûta la vie à plus d’un coupable. Les deux cardinaux furent appliqués à la question, et condamnés à la mort. On pendit le cardinal Petrucci dans la prison : l’autre racheta sa vie par ses trésors.

Il est très-remarquable qu’ils furent condamnés par les magistrats séculiers de Rome, et non par leurs pairs. Le pape semblait, par cette action, inviter les souverains à rendre tous les ecclésiastiques justiciables des juges ordinaires ; mais jamais le saint-siége ne crut devoir céder aux rois un droit qu’il se donnait à lui-même. Comment les cardinaux, qui élisent les papes, leur ont-ils laissé ce despotisme, tandis que les électeurs et les princes de l’empire ont tant restreint le pouvoir des empereurs ? C’est que ces princes ont des États, et que les cardinaux n’ont que des dignités.

Cette triste aventure fit bientôt place aux réjouissances accoutumées. Léon X, pour mieux faire oublier le supplice d’un cardinal mort par la corde, en créa trente nouveaux, la plupart italiens : et, se conformant au génie du maître, s’ils n’avaient pas tous le goût et les connaissances du pontife, ils l’imitèrent au moins dans ses plaisirs. Presque tous les autres prélats suivirent leurs exemples. L’Espagne était alors le seul pays où l’Église connût les mœurs sévères ; elles y avaient été introduites par le cardinal de Ximénès, esprit né austère et dur, qui n’avait dégoût que celui de la domination absolue, et qui, revêtu de l’habit d’un cordelier quand il était régent d’Espagne, disait qu’avec son cordon il saurait ranger tous les grands à leur devoir, et qu’il écraserait leur fierté sous ses sandales.

Partout ailleurs les prélats vivaient en princes voluptueux. Il y en avait qui possédaient jusqu’à huit et neuf évêchés. On s’effraye aujourd’hui en comptant tous les bénéfices dont jouissaient, par exemple, un cardinal de Lorraine, un cardinal de Wolsey, et tant d’autres ; mais ces biens ecclésiastiques, accumulés sur un seul homme, ne faisaient pas un plus mauvais effet alors que n’en font aujourd’hui tant d’évêchés réunis par des électeurs ou par des prélats d’Allemagne.

Tous les écrivains protestants et catholiques se récrient contre la dissolution des mœurs de ces temps : ils disent que les prélats,