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DE LUTHER. DES INDULGENCES.

Saxe, surnommé le Sage, celui-là même qui, après la mort de Maximilien, eut le courage de refuser l’empire, protégea Luther ouvertement. Cette révolution dans l’Église commença comme toutes celles qui ont détrôné les souverains : on présente d’abord des requêtes, on expose des griefs ; on finit par renverser le trône, il n’y avait point encore de séparation marquée en se moquant des indulgences, en demandant à communier avec du pain et du vin, en disant des choses très-peu intelligibles sur la justification et sur le libre arbitre, en voulant abolir les moines, en offrant de prouver que l’Écriture sainte n’a pas expressément parlé du purgatoire.

(1520) Léon X, qui dans le fond méprisait ces disputes, fut obligé, comme pape, d’anathématiser solennellement par une bulle toutes ces propositions. Il ne savait pas combien Luther était protégé secrètement en Allemagne. Il fallait, disait-on, le faire changer d’opinion par le moyen d’un chapeau rouge. Le mépris qu’on eut pour lui fut fatal à Rome.

Luther ne garda plus de mesures. Il composa son livre De la Captivité de Babylone. Il exhorta tous les princes à secouer le joug de la papauté ; il se déchaîna contre les messes privées, et il fut d’autant plus applaudi qu’il se récriait contre la vente publique de ces messes. Les moines mendiants les avaient mises en vogue au XIIIe siècle ; le peuple les payait comme il les paye encore aujourd’hui quand il en commande. C’est une légère rétribution dont subsistent les pauvres religieux et les prêtres habitués. Ce faible honoraire, qu’on ne pouvait guère envier à ceux qui ne vivent que de l’autel et d’aumônes, était alors en France d’environ deux sous de ce temps-là, et moindre encore en Allemagne. La transsubstantiation fut proscrite comme un mot qui ne se trouve ni dans l’Écriture ni dans les pères. Les partisans de Luther prétendaient que la doctrine qui fait évanouir la substance du pain et du vin, et qui en conserve la forme, n’avait été universellement établie dans l’Église que du temps de Grégoire VII ; et que cette doctrine avait été soutenue et expliquée pour la première fois par le bénédictin Paschase Ratbert au IXe siècle. Ils fouillaient dans les archives ténébreuses de l’antiquité, pour y trouver de quoi se séparer de l’Église romaine sur des mystères que la faiblesse humaine ne peut approfondir. Luther retenait une partie du mystère, et rejetait l’autre. Il avoue que le corps de Jésus-Christ est dans les espèces consacrées ; mais il y est, dit-il, comme le feu est dans le fer enflammé : le fer et le feu subsistent ensemble. C’est cette manière de se confondre avec le pain et le vin