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CHAPITRE CXXXIX.

Les prémontrés, que saint Norbert fonda (1120), ne faisaient pas beaucoup de bruit, et n’en valaient que mieux.

Les franciscains étaient les plus nombreux et les plus agissants. François d’Assise, qui les fonda vers l’an 1210, était l’homme de la plus grande simplicité et du plus prodigieux enthousiasme : c’était l’esprit du temps ; c’était en partie celui de la populace des croisés ; c’était celui des Vaudois et des Albigeois. Il trouva beaucoup d’hommes de sa trempe, et se les associa. Les guerres des croisades nous ont déjà fait voir[1] un grand exemple de son zèle et de celui de ses compagnons, quand il alla proposer au Soudan d’Égypte de se faire chrétien, et que frère Gille prêcha si obstinément dans Maroc.

Jamais les égarements de l’esprit n’ont été poussés plus loin que dans le livre des Conformités de François avec le Christ, écrit de son temps, augmenté depuis, recueilli et imprimé enfin, au commencement du XVIe siècle, par un cordelier nommé Barthélemy Albizzi. On regarde, dans ce livre, le Christ comme précurseur de François, C’est là qu’on trouve l’histoire de la femme de neige que François fit de ses mains ; celle d’un loup enragé qu’il guérit miraculeusement, et auquel il fit promettre de ne plus manger de moutons ; celle d’un cordelier devenu évêque, qui, déposé par le pape, et étant mort après sa déposition, sortit de sa bière pour aller porter une lettre de reproche au pape ; celle d’un médecin qu’il fit mourir par ses prières dans Nocera, pour avoir le plaisir de le ressusciter par de nouvelles prières. On attribuait à François une multitude prodigieuse de miracles. C’en était un grand, en effet, qu’avait opéré ce fondateur d’un si grand ordre, de l’avoir multiplié au point que de son vivant, à un chapitre général qui se tint près d’Assise (1219), il se trouva cinq mille de ses moines. Aujourd’hui, quoique les protestants leur aient enlevé un nombre prodigieux de leurs monastères, ils ont encore sept mille maisons d’hommes sous des noms différents, et plus de neuf cents couvents de filles. On a compté, par leurs derniers chapitres, cent quinze mille hommes, et environ vingt-neuf mille filles : abus intolérable dans des pays où l’on a vu l’espèce humaine manquer sensiblement.

Ceux-là étaient ardents à tout : prédicateurs, théologiens, missionnaires, quêteurs, émissaires, courant d’un bout du monde à l’autre, et en tous lieux ennemis des dominicains. Leur querelle théologique roulait sur la naissance de la mère de Jésus-Christ.

  1. Voyez chapitre lvii, tome XI, page 464.