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CHAPITRE CXLII.

une ancienne société de solitaires qui faisaient vœu de combattre pour la religion.

Cependant, malgré cet établissement, qui semble annoncer des guerres civiles, comme l’ordre teutonique de Prusse en a causé en Europe, la liberté de conscience était établie dans ces pays aussi bien que dans tout le reste de l’Orient. Le Japon était partagé en plusieurs sectes, quoique sous un roi pontife ; mais toutes les sectes se réunissaient dans les mêmes principes de morale. Ceux qui croyaient la métempsycose, et ceux qui n’y croyaient pas, s’abstenaient et s’abstiennent encore aujourd’hui de manger la chair des animaux qui rendent service à l’homme. Toute la nation se nourrit de riz et de légumes, de poisson et de fruits : sobriété qui semble en eux une vertu plus qu’une superstition.

La doctrine de Confucius a fait beaucoup de progrès dans cet empire. Comme elle se réduit toute à la simple morale, elle a charmé tous les esprits de ceux qui ne sont pas attachés aux bonzes ; et c’est toujours la saine partie de la nation. On croit que le progrès de cette philosophie n’a pas peu contribué à ruiner la puissance du dairi. (1700) L’empereur qui régnait n’avait pas d’autre religion.

Il semble qu’on abuse plus au Japon qu’à la Chine de cette doctrine de Confucius. Les philosophes japonais regardent l’homicide de soi-même comme une action vertueuse quand elle ne blesse pas la société. Le naturel fier et violent de ces insulaires met souvent cette théorie en pratique, et rend le suicide beaucoup plus commun encore au Japon qu’en Angleterre.

La liberté de conscience, comme le remarque Kempfer, ce véridique et savant voyageur, avait toujours été accordée dans le Japon, ainsi que dans presque tout le reste de l’Asie[1]. Plusieurs religions étrangères s’étaient paisiblement introduites au Japon. Dieu permettait ainsi que la voie fût ouverte à l’Évangile dans toutes ces vastes contrées. Personne n’ignore qu’il fit des progrès prodigieux sur la fin du XVIe siècle dans la moitié de cet empire. Le premier qui répandit ce germe fut le célèbre François Xavier, jésuite portugais, homme d’un zèle courageux et infatigable ; il alla avec les marchands dans plusieurs îles du Japon, tantôt en

  1. Engelbert Kempfer, docteur allemand, a écrit une Histoire naturelle, civile et ecclésiastique de l’empire du Japon, qui a été traduite en anglais par J. Gaspar Schentzer, médecin à Londres. Il y en a deux éditions françaises, publiées à La Haye, la première en deux volumes in-folio, 1729 ; la seconde, en trois volumes in-12, 1731. (E. B.)