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DE L’INDE.

misère, si vous m’abandonnez, vous à qui je dois mon soutien et ma conservation ? sans vous je ne saurais vivre. Appelez-moi, Seigneur, afin que j’aille vers vous. »

Il fallait être aussi ignorant et aussi téméraire que nos moines du moyen âge pour nous bercer continuellement de la fausse idée que tout ce qui habite au delà de notre petite Europe, et nos anciens maîtres et législateurs les Romains, et les Grecs précepteurs des Romains, et les anciens Égyptiens précepteurs des Grecs, et enfin tout ce qui n’est pas nous, ont toujours été des idolâtres odieux et ridicules.

Cependant, malgré une doctrine si sage et si sublime, les plus basses et les plus folles superstitions prévalent. Cette contradiction n’est que trop dans la nature de l’homme. Les Grecs et les Romains avaient la même idée d’un Être suprême, et ils avaient joint tant de divinités subalternes, le peuple avait honoré ces divinités par tant de superstitions, et avait étouffé la vérité par tant de fables, qu’on ne pouvait plus distinguer à la fin ce qui était digne de respect et ce qui méritait le mépris.

Vous ne perdrez point un temps précieux à rechercher toutes les sectes qui partagent l’Inde. Les erreurs se subdivisent en trop de manières. Il est d’ailleurs vraisemblable que nos voyageurs ont pris quelquefois des rites différents pour des sectes opposées ; il est aisé de s’y méprendre. Chaque collége de prêtres, dans l’ancienne Grèce et dans l’ancienne Rome, avait ses cérémonies et ses sacrifices. On ne vénérait point Hercule comme Apollon, ni Junon comme Vénus : tous ces différents cultes appartenaient pourtant à la même religion.

Nos peuples occidentaux ont fait éclater dans toutes ces découvertes une grande supériorité d’esprit et de courage sur les nations orientales. Nous nous sommes établis chez elles, et très-souvent malgré leur résistance. Nous avons appris leurs langues, nous leur avons enseigné quelques-uns de nos arts. Mais la nature leur avait donné sur nous un avantage qui balance tous les nôtres : c’est qu’elles n’avaient nul besoin de nous, et que nous avions besoin d’elles.

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