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CHAPITRE CXLIX.

ciel. « Quoi ! les Espagnols iront donc au ciel ? demandait le cacique. — Oui, sans doute, disait le moine. — Ah ! s’il est ainsi, que je n’aille point au ciel, » répliqua ce prince. Un cacique de la Nouvelle-Grenade, qui est entre le Pérou et le Mexique, fut brûlé publiquement pour avoir promis en vain de remplir d’or la chambre d’un capitaine.

Des milliers d’Américains servaient aux Espagnols de bêtes de somme, et on les tuait quand leur lassitude les empêchait de marcher. Enfin ce témoin oculaire affirme que, dans les îles et sur la terre ferme, ce petit nombre d’Européans a fait périr plus de douze millions d’Américains. « Pour vous justifier, ajoute-t-il, vous dites que ces malheureux s’étaient rendus coupables de sacrifices humains ; que, par exemple, dans le temple du Mexique on avait sacrifié vingt mille hommes : je prends à témoin le ciel et la terre que les Mexicains, usant du droit barbare de la guerre, n’avaient pas fait souffrir la mort dans leurs temples à cent cinquante prisonniers. »

De tout ce que je viens de citer il résulte que probablement les Espagnols avaient beaucoup exagéré les dépravations des Mexicains, et que l’évêque de Chiapa outrait aussi quelquefois ses reproches contre ses compatriotes. Observons ici que, si on reproche aux Mexicains d’avoir quelquefois sacrifié des ennemis vaincus au dieu de la guerre, jamais les Péruviens ne firent de tels sacrifices au soleil, qu’ils regardaient comme le dieu bienfaisant de la nature. La nation du Pérou était peut-être la plus douce de toute la terre.

Enfin les plaintes réitérées de Las Casas ne furent pas inutiles. Les lois envoyées d’Europe ont un peu adouci le sort des Américains. Ils sont aujourd’hui sujets soumis, et non esclaves.

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CHAPITRE CXLIX.


Du premier voyage autour du monde.


Ce mélange de grandeur et de cruauté étonne et indigne. Trop d’horreurs déshonorent les grandes actions des vainqueurs de l’Amérique ; mais la gloire de Colombo est pure. Telle est celle