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CHAPITRE CLV.

défendit seulement de rendre à Confutzée les mêmes honneurs qu’on rendait à la mémoire des rois ; défense honteuse, puisque nul roi n’avait rendu tant de services à la patrie que Confutzée ; mais défense qui prouve que Confutzée ne fut jamais adoré, et qu’il n’entre point d’idolâtrie dans ces cérémonies dont les Chinois honorent leurs aïeux et les mânes des grands hommes. Rien ne confond mieux les méprisables disputes que nous avons eues en Europe sur les rites chinois.

Une étrange opinion régnait alors à la Chine : on était persuadé qu’il y avait un secret pour rendre les hommes immortels. Des charlatans qui ressemblaient à nos alchimistes se vantaient de pouvoir composer une liqueur qu’ils appelaient le breuvage de l’immortalité. Ce fut le sujet de mille fables dont l’Asie fut inondée, et qu’on a prises pour de l’histoire. On prétend que plus d’un empereur chinois dépensa des sommes immenses pour cette recette : c’est comme si les Asiatiques croyaient que nos rois de l’Europe ont recherché sérieusement la fontaine de Jouvence, aussi connue dans nos anciens romans gaulois que la coupe d’immortalité dans les romans asiatiques.

Sous la dynastie Yven, c’est-à-dire sous la postérité de Gengis, et sous celle des restaurateurs, nommée Ming, les arts qui appartiennent à l’esprit et à l’imagination furent plus cultivés que jamais : ce n’était ni notre sorte d’esprit ni notre sorte d’imagination ; cependant on retrouve dans leurs petits romans le même fond qui plaît à toutes les nations. Ce sont des malheurs imprévus, des avantages inespérés, des reconnaissances : on y trouve peu de ce fabuleux incroyable, tel que les métamorphoses inventées par les Grecs et embellies par Ovide, tel que les contes arabes et les fables du Boïardo et de l’Arioste. L’invention, dans les fables chinoises, s’éloigne rarement de la vraisemblance, et tend toujours à la morale.

La passion du théâtre devint universelle à la Chine depuis le XIVe siècle jusqu’à nos jours. Ils ne pouvaient avoir reçu cet art d’aucun peuple ; ils ignoraient que la Grèce eût existé, et ni les mahométans, ni les Tartares, n’avaient pu leur communiquer les ouvrages grecs : ils inventèrent l’art ; mais par la tragédie chinoise qu’on a traduite, on voit qu’ils ne l’ont pas perfectionné. Cette tragédie, intitulée l’Orphelin de Tchao, est du XIVe siècle ; on nous la donne comme la meilleure qu’ils aient eue encore[1]. Il est

  1. Voltaire parle plus longuement de l’Orphelin de Tchao dans la dédicace de son Orphelin de la Chine, tome IV du Théâtre, page 295.