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CHAPITRE CLVIII.
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Sha-Abbas, arrière-petit-fils d’Ismaël Sophi. Il n’y a guère d’États qui n’aient eu un temps de grandeur et d’éclat, après lequel ils dégénèrent.

Les usages, les mœurs, l’esprit de la Perse, sont aussi étrangers pour nous que ceux de tous les peuples qui ont passé sous vos yeux. Le voyageur Chardin prétend que l’empereur de Perse est moins absolu que celui de Turquie ; mais il ne paraît pas que le sophi dépende d’une milice comme le Grand Seigneur. Chardin avoue du moins que toutes les terres en Perse n’appartiennent pas à un seul homme : les citoyens y jouissent de leurs possessions, et payent à l’État une taxe qui ne va pas à un écu par an. Point de grands ni de petits fiefs, comme dans l’Inde et dans la Turquie, subjuguées par les Tartares. Ismaël Sophi, restaurateur de cet empire, n’étant point Tartare, mais Arménien, avait suivi le droit naturel établi dans son pays, et non pas le droit de conquête et de brigandage.

Le sérail d’Ispahan passait pour moins cruel que celui de Constantinople. La jalousie du trône portait souvent les sultans turcs à faire étrangler leurs parents. Les sophis se contentaient d’arracher les prunelles des princes de leur sang. À la Chine, on n’a jamais imaginé que la sûreté du trône exigeât de tuer ou d’aveugler ses frères et ses neveux. On leur laissait toujours des honneurs sans autorité. Tout prouve que les mœurs chinoises étaient les plus humaines et les plus sages de l’Orient.

Les rois de Perse ont conservé la coutume de recevoir des présents de leurs sujets. Cet usage est établi au Mogol et en Turquie ; il l’a été en Pologne, et c’est le seul royaume où il semblait raisonnable : car les rois de Pologne, n’ayant qu’un très-faible revenu, avaient besoin de ces secours. Mais le Grand Seigneur surtout, et le Grand Mogol, possesseurs de trésors immenses, ne devaient se montrer que pour donner. C’est s’abaisser que de recevoir, et de cet abaissement ils font un titre de grandeur. Les empereurs de la Chine n’ont jamais avili ainsi leur dignité. Chardin prétend que les étrennes du roi de Perse lui valaient cinq ou six de nos millions.

Ce que la Perse a toujours eu de commun avec la Chine et la Turquie, c’est de ne pas connaître la noblesse : il n’y a dans ces vastes États d’autre noblesse que celle des emplois ; et les hommes qui ne sont rien n’y peuvent tirer avantage de ce qu’ont été leurs pères.

Dans la Perse, comme dans toute l’Asie, la justice a toujours été rendue sommairement ; on n’y a jamais connu ni les avocats.