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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIe SIÈCLE.

qui, s’étant établis à Thèbes et à Memphis dans ces temps reculés, comme ils s’y sont établis du temps de saint Louis, aient ensuite rapporté dans leur patrie quelques rites religieux et quelques usages de l’Égypte.

C’est au lecteur intelligent à peser toutes ces raisons. L’ancienne histoire ne présente chez toutes les nations de la terre que des doutes et des conjectures.

Toman-Bey fut le dernier roi mameluk ; il n’est célèbre que par cette époque, et par le malheur qu’il eut de tomber entre les mains de Sélim ; mais il mérite d’être connu par une singularité qui nous paraît étrange, et qui ne l’était pas chez les Orientaux : c’est que le vainqueur lui confia le gouvernement de l’Égypte, qu’il lui avait enlevée.

Toman-Bey, de roi devenu bâcha, eut le sort des bâchas ; il fut étranglé après quelques mois de gouvernement.

Depuis ce temps le peuple de l’Égypte fut enseveli dans le plus honteux avilissement ; cette nation, qu’on dit avoir été si guerrière du temps de Sésostris, est devenue plus pusillanime que du temps de Cléopâtre. On nous dit qu’elle inventa les sciences, et elle n’en cultive pas une ; qu’elle était sérieuse et grave, et aujourd’hui on la voit, légère et gaie, danser et chanter dans la pauvreté et dans l’esclavage : cette multitude d’habitants, qu’on disait innombrable, se réduit à trois millions tout au plus. Il ne s’est pas fait un plus grand changement dans Rome et dans Athènes ; c’est une preuve sans réplique que si le climat influe sur le caractère des hommes, le gouvernement a bien plus d’influence encore que le climat.

Soliman, fils de Sélim, fut toujours un ennemi formidable aux chrétiens et aux Persans. Il prit Rhodes (1521), et, quelques années après (1526), la plus grande partie de la Hongrie. La Moldavie et la Valachie (1529) devinrent de véritables fiefs de son empire. Il mit le siége devant Vienne, et, ayant manqué cette entreprise, il tourna ses armes contre la Perse ; et, plus heureux sur l’Euphrate que sur le Danube, il s’empara de Bagdad comme son père, sur lequel les Persans l’avaient repris. Il soumit la Géorgie, qui est l’ancienne Ibérie. Ses armes victorieuses se portaient de tous côtés, car son amiral Cheredin Barberousse, après avoir ravagé la Pouille, alla, dans la mer Rouge, s’emparer du royaume d’Yémen, qui est plutôt un pays de l’Inde que de l’Arabie. Plus guerrier que Charles-Quint, il lui ressembla par des voyages continuels. C’est le premier des empereurs ottomans qui ait été l’allié des Français, et cette alliance a toujours subsisté.