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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIe SIÈCLE.

ont toujours dissimulés avec l’empire ottoman. Le roi d’Angleterre Guillaume disait, dans nos derniers temps, « qu’il n’y a pas de point d’honneur avec les Turcs ». Ce langage est celui d’un négociant qui veut vendre ses effets, et non d’un roi qui est jaloux de ce qu’on appelle la gloire.

L’administration de l’empire des Turcs est aussi différente de la nôtre que les mœurs et la religion. Une partie des revenus du Grand Seigneur consiste, non en argent monnayé, comme dans les gouvernements chrétiens, mais dans les productions de tous les pays qui lui sont soumis. Le canal de Constantinople est couvert toute l’année de navires qui apportent de l’Égypte, de la Grèce, de la Natolie, des côtes du Pont-Euxin, toutes les provisions nécessaires pour le sérail, pour les janissaires, pour la flotte. On voit, par le Canon Nameh, c’est-à-dire par les registres de l’empire, que le revenu du trésor en argent, jusqu’à l’année 1683, ne montait qu’à près de trente-deux mille bourses, ce qui revenait à peu près à quarante-six millions de nos livres d’aujourd’hui.

Ce revenu ne suffirait pas pour entretenir de si grandes armées et tant d’officiers. Les bachas, dans chaque province, ont des fonds assignés sur la province même pour l’entretien des soldats que les fiefs fournissent ; mais ces fonds ne sont pas considérables : celui de l’Asie Mineure, ou Natolie, allait tout au plus à douze cent mille livres ; celui du Diarbek à cent mille ; celui d’Alep n’était pas plus considérable ; le fertile pays de Damas ne donnait pas deux cent mille francs à son bacha ; celui d’Erzerum en valait environ deux cent mille. La Grèce entière, qu’on appelle Romélie, donnait à son bacha douze cent mille livres. En un mot, tous ces revenus dont les bachas et les béglierbeys entretenaient les troupes ordinaires, jusqu’en 1683, ne montaient pas à dix de nos millions ; la Moldavie et la Valachie ne fournissaient pas deux cent mille livres à leur prince pour l’entretien de huit mille soldats au service de la Porte. Le capitan bacha ne tirait pas des fiefs appelés Zaims et Timars, répandus sur les côtes, plus de huit cent mille livres pour la flotte.

Il résulte du dépouillement du Canon Nameh que toute l’administration turque était établie sur moins de soixante de nos millions en argent comptant ; et cette dépense, depuis 1683, n’a pas été beaucoup augmentée : ce n’est pas la troisième partie de ce qu’on paye en France, en Angleterre, pour les dettes publiques ; mais aussi il y a, dans ces deux royaumes, une culture plus perfectionnée, une plus grande industrie, beaucoup plus de circulation, un commerce plus animé.